Page:Chevalier - Les voyageuses au XIXe siècle, 1889.pdf/70

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
60
LES VOYAGEUSES AU XIXe SIÈCLE

n’a pas l’amour de la propreté, il en a le culte. » — « Saardam est une page, Broëk une vignette de l’histoire des Pays-Bas. »

À propos de l’île de Falster, elle raconte cette jolie légende dont la morale est la sagesse de Dieu et la vanité de nos désirs. « Il y a très longtemps, une bourgeoise fort riche s’imagina d’y faire construire une église à ses frais. Lorsque l’église fut bâtie, elle ajouta à son œuvre pieuse le vœu insensé de durer aussi longtemps que son monument : Dieu l’exauça. Plus de trois siècles se sont écoulés depuis cette époque, et la femme vit toujours ; mais sa décrépitude est arrivée à un tel degré, qu’elle n’entend plus, ne remue plus, ne voit plus, ne respire même plus. On l’a couchée dans un grand coffre de chêne près duquel un prêtre veille constamment. Chaque année, le jour anniversaire de la fondation de son église, un souffle de vie ranime cette perpétuelle moribonde, et elle reprend assez de force pour demander : « Mon église est-elle encore debout ? » Sur la réponse affirmative, elle soupire tristement en disant : « Plût à Dieu qu’elle fût détruite de fond en comble ! je pourrais alors mourir !. » Et elle retombe dans son immobilité. »

Le rendez-vous pris à jour fixe au cap Nord avec l’expédition scientifique à laquelle M. Biard devait s’adjoindre, l’obligea à précipiter son voyage à travers la Norvège. Mme d’Aunet visita Christiana, Drontheim et une partie de la côte ; mais elle ne pénétra pas assez dans l’intérieur pour avoir une idée complète de l’aspect de ce pays. Au cœur des montagnes du Dovrefield, on trouve de grandioses paysages, des pics et des ravins, des cataractes et des forêts qui ne sont pas inférieurs aux sites fameux de la Suisse ; ainsi la Norvège peut se vanter de posséder la plus belle cascade d’Europe, celle du Riukanfoss, aussi majestueuse que celle de Gavarnie ou que la chute du Rhin à Schaffhouse, et qu’on a même comparée au Niagara.

Mme d’Aunet fait une gracieuse description des fermes norvégiennes perdues dans ces pittoresques montagnes.

« Le gaard se compose d’une vaste habitation entourée de petits corps de logis servant de granges, d’étables, etc. La maison, faite de troncs de sapins à peine équarris, dont les interstices sont bouchés avec de la mousse, sert d’habitation au maître et à sa famille ; les domestiques et les bestiaux logent dans les bâtiments d’exploitation. Les grandes distances et la rigueur des hivers obligent ces familles de paysans à prévoir tous les besoins de la vie ; aussi sont-ils fort industrieux. Les femmes filent le lin et le chanvre, tissent la toile et