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LES VOYAGEUSES AU XIXe SIÈCLE

de bûchettes de sapin ; ces bûchettes, réunies dans un anneau de cuivre, se tiennent commodément allumées à la main et répandent une clarté au moins égale à celle des torches. Nous prîmes chacun notre torche, et nous commençâmes à descendre. L’escalier des mines est taillé dans le sein même de la colline ; le plus souvent, de simples traverses de bois retiennent la terre et forment les marches. À gauche, on a le flanc de la montagne ; à droite, une légère barrière derrière laquelle on devine des gouffres. Par moments on descend entre deux murailles rapprochées ; mais cela dure peu, et bientôt après on côtoie de nouveau des précipices. Quand l’œil s’est habitué à la faible clarté des torches, on distingue au-dessus de soi les mares d’eau noire et huileuse formées du continuel suintement des voûtes ; cet escalier inégal et humide est parfois remplacé par des sentiers en pente, rapides, glissants et dangereux. Les galeries sont hautes, voûtées, soutenues de loin en loin par de larges contreforts en bâtisse et des poutres entre-croisées ; ces précautions contre les éboulements rassurent imparfaitement, si l’on vient à songer à l’énorme masse de terre qui pèse sur ces voûtes. Figurez-vous un labyrinthe inextricable, immense, de rues obscures qui se croisent, montent, descendent, se rapprochent, s’éloignent ; figurez-vous de temps en temps des carrefours qui sont comme les nœuds de ces routes souterraines ; figurez-vous enfin une sorte d’écheveau sombre et effrayant de rues, de corridors, de ponts, de sentiers, d’escaliers et de rampes, dans lequel, même bien accompagné, on frissonne à chaque instant, dans la crainte de ne pas s’y retrouver. À mesure qu’on descend, l’air se raréfie ; à cent cinquante ou deux cents pieds sous terre on est fort incommodé par une vapeur épaisse d’exhalaisons sulfureuses ; dans les rares moments où l’on peut distinguer les objets, les parois des galeries brillent par places comme des murailles féeriques ; les filons de cuivre mêlés de fer, d’argent, d’or, de cobalt, ont donné au minerai des teintes violacées, irisées, bronzées, chatoyantes, du plus superbe effet ; de temps en temps un morceau de grenat ou de cristal de roche étincelle sous un rayon de lumière.

« Vers le milieu de la mine, on a creusé un puits d’une immense profondeur et d’un diamètre de dix à douze pieds ; il reçoit les eaux des galeries de tous les étages, qui viennent y aboutir à cet effet. Lorsque nous fûmes à une fenêtre de l’étage inférieur, deux mineurs placés à l’orifice du puits y jetèrent d’énormes brassées de sapin enflammées, les bûchettes, en s’éparpillant, lançaient de vives clartés,