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LES VOYAGEUSES AU XIXe SIÈCLE

qu’elle allait à Constantinople visiter une amie. Il était naturel que la terre sainte attirât une personne vraiment pieuse ; elle visita les lieux sacrés, et l’impression qu’ils lui produisirent prouve que l’âge et les soucis n’avaient pas refroidi sa nature enthousiaste. Elle revint d’Égypte par la Sicile et l’Italie. Sur les instances de ses amis, elle consentit à écrire le récit de son pèlerinage : Voyage d’une Viennoise en terre sainte. Le livre eut du succès, quoique ses mérites n’aient rien de littéraire et que tout son charme soit dans la simplicité et la vérité de la relation ; le lecteur se rend compte que l’écrivain auquel il a affaire ne cherche pas à le tromper, à diminuer ou à exagérer les faits, pas plus qu’à les adapter à des notions préconçues. Il faut dire cependant que si les observations de Mme Pfeiffer sont exactes, elles manquent de profondeur.

De l’Orient brûlant elle passa aux régions glaciales du Nord, et le résultat de sa promenade en Suède, en Danemark et en Norvège fut un livre intéressant : Voyage dans le nord de la Scandinavie et en Islande, où elle raconte avec un plaisir d’une sincérité évidente des aventures accompagnées de dangers que beaucoup d’hommes ne se soucieraient pas d’affronter.

Mais ces voyages n’étaient que les préliminaires de sa grande entreprise, et lui servaient seulement à essayer ses forces. Elle résolut d’employer son expérience acquise, et l’argent que ses livres lui avaient rapporté à faire le tour du monde, et elle n’eut de repos que lorsqu’elle l’eut commencé.

En 1846, dans sa cinquantième année[1], elle s’embarqua pour Rio-Janeiro, laissant croire à ses fils qu’elle n’allait qu’au Brésil. Elle arriva dans cette capitale au mois de septembre, et y séjourna assez longtemps. Faisant de nombreuses excursions dans l’intérieur du pays. Dans une de ces excursions, elle faillit tomber sous le couteau d’un meurtrier. Elle et son compagnon, le comte Berchtold, furent attaqués dans un lieu solitaire par un nègre qui s’élança sur eux, cherchant à les entraîner avec son lasso pour les tuer dans la forêt. Ils n’avaient aucune arme, car on leur avait dit que la route était sûre ; leurs seuls moyens de défense étaient leurs parasols et un couteau de poche que Mme Pfeiffer tira, résolue à vendre chèrement sa vie si c’était possible. Ils parèrent d’abord les coups de leur adversaire avec leurs parasols, mais celui de Mme Pfeiffer se cassa bientôt

  1. Mme Ida Pfeiffer, Voyage d’une femme autour du monde. (Hachette.)