le soigne. Elle se consumerait dans sa tâche ingrate sans l’amour renaissant qui la soutient. Son beau-frère la désire et elle l’aime. Plusieurs fois elle est sur le point de succomber, mais elle se défend contre elle-même et contre lui. Les années passent.
D’ailleurs, Mary veille, et collabore avec le temps. Avec une cruauté non préméditée, mais non pas inconsciente, celle des femelles qui occupent, garnissent et défendent leur nid, elle écarte Eleanor de son foyer, de son milieu. Elle installe son mari dans le confort et la vanité satisfaite, l’entoure de quiétude, et finit par le cuirasser d’une ouate morale.
Vouée au destin de vieille fille et sentant que la vie lui échappe, vaincue enfin par son sexe, Eleanor, qui a si longtemps résisté, finit par supplier. Elle demande à son beau-frère de l’épargner en s’éloignant à son tour. Il lui fait comprendre qu’il n’est plus tenté, que le danger est passé. Celui qu’elle aimait est mort dans un cataplasme de basse satisfaction domestique. Humiliée, déchue par cette déchéance, Eleanor reprend la vie avec le vain fardeau de sa virginité, la vaine consolation de son mysticisme.
À travers la sécheresse de cette analyse, discerne-t-on la prédominance de l’amour charnel ? Il y a mille autres choses dans The Three Sisters : réalisme des peintures, idéalisme des intentions, influence de l’hérédité, du tempérament, critique amère des conventions, qui, respectées, auraient amené la dégradation d’Alice ; apologie de l’instinct et logique de la vie qui sauvent deux êtres humains par là même où ils auraient péché ; enfin, opposition irréductible des générations. On sent que Samuel Butler a passé par là. Il n’est plus, dans la fiction contemporaine, un roman qui se respecte ou le père ne soit détestable et abhorré.