Page:Chevalley - Le Roman anglais de notre temps.djvu/216

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déplorable abondance, elle est, semble-t-il, la romancière la plus représentative de l’Angleterre contemporaine. S’il en fallait un nouveau témoignage, on le trouverait dans Mary Olivier, publié en 1919, qui n’est pas loin d’égaler The Three Sisters en puissance et en intérêt. C’est de nouveau l’histoire physio-psychologique d’une de ces familles « normalement tarées » que Miss May Sinclair n’a cessé de nous dévoiler dans la saine Angleterre.

À vrai dire, on se doute bien que la santé mentale et morale des classes moyennes chez nos voisins n’est ni meilleure ni pire qu’ailleurs. Mais personne n’avait, dans le roman britannique, fait le travail de dissection que, chez nous, Flaubert, Zola, Maupassant et leurs disciples accomplissaient à la fin du siècle dernier. Avec plus de savoir véritable et moins de brutalité, Miss May Sinclair, tendrement penchée sur le corps et le cœur de la femme moderne, sait montrer la faiblesse de son sexe, sans en tuer le respect, et la puissante force humaine sans attenter un charme féminin. Elle suit, par exemple, dans Mary Olivier une destinée de fille aimante et savante à travers les destins morbides de sa famille bourgeoise. Mary se sauve par l’intelligence, la sincérité. Elle ne rencontre pas le bonheur, du moins pas où elle le cherchait. Il ne lui vient qu’avec le renoncement et la désillusion, quand elle a passé l’âge de l’amour. Il y a des moments où elle paraît une insupportable bas-bleu, d’autres où la généreuse et géniale détraquée disparaît pour faire place à une enfant, une jeune fille, une femme adorable. À travers ces quatre cents pages d’autobiographie, Miss May Sinclair procède dans Mary Olivier par courtes notations. C’est de l’impressionnisme, du pointillisme, mais au service d’une imagination presque épique.