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Page:Chevalley - Le Roman anglais de notre temps.djvu/27

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Qu’importe qu’il ait ou non connu ses devancier ? Il n’avait que faire des héroïques et des pastoraux, des bêleurs et des pourfendeurs. Le récit picaresque, il l’invente autant qu’il le continue. Ses personnages sont gens de rien, matelots, prostituées, coupe-mailles. Mais il les connaissait. L’humanité y est proche. Public et éditeurs les demandaient. Or Defoe est serviteur de ses patrons et de ses clients. C’est par le service de la réalité, de la nécessité, qu’il rencontre, sans peut-être le savoir, un art immortel. Il exonère d’avance tous ces tâcherons inspirés qui découvrent leur génie par leur tâche.

Avec l’aisance presque indifférente du spécialiste il extrait sans effort, sans bruit, avec une terne et puissante et rapide abondance, sa manière comme romancier de sa pratique comme pamphlétaire. Il inscrit dans une seule destinée la courbe séculaire par où l’art est issu de la vie. Des myriades de potiers ont précédé la céramique. Le roman de Defoe sort du journal comme le vase de la jarre. D’autres en feront une urne. Il n’est pas le Messie du roman anglais, mais son précurseur. Avec une magnifique simplicité de vision et de moyens qui lui assure, comme aux grands classiques, l’éternelle attention des enfants, il est remonté par nécessité jusqu’à la source de la fiction. Il l’a retrempé dans le métier, il en a retrouvé l’essence, annoncé les incarnations. Si l’art du conteur consiste avant tout à conter, à faire croire, à créer l’illusion du réel, alors Defoe devait précéder Richardson et Fielding. Il n’a pas mis dans le roman tout ce qu’ils y apporteront, — analyse, émotion, humour. En revanche, ils n’y mettront rien de supérieur à ce qu’il y apporta, car sa contribution, c’est l’essentiel, à savoir : le mouvement, la vraisemblance et la vie.