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DANGEREUSES.

des autres, n’a droit de se plaindre de la méfiance nécessaire, qui la lui rend si difficile à recouvrer. Songez surtout, ma jeune amie, que quelquefois il suffit, pour la perdre, d’avoir l’air d’y attacher trop peu de prix ; & ne taxez pas cette sévérité d’injustice ; car, outre qu’on est fondé à croire qu’on ne renonce pas à ce bien précieux quand on a droit d’y prétendre, celui-là est en effet plus près de mal faire, qui n’est plus contenu par ce frein puissant. Tel serait cependant l’aspect sous lequel vous montrerait une liaison intime avec M. de Valmont, quelqu’innocente qu’elle pût être.

Effrayée de la chaleur avec laquelle vous le défendez, je me hâte de prévenir les objections que je prévois. Vous me citerez madame de Merteuil ; à qui on a pardonné cette liaison ; vous me demanderez pourquoi je le reçois chez moi : vous me direz que, loin d’être rejeté par les gens honnêtes, il est admis, recherché même dans ce qu’on appelle la bonne compagnie. Je peux, je crois, répondre à tout.

D’abord madame de Merteuil, en effet très estimable, n’a peut-être d’autre défaut que trop de confiance en ses forces ; c’est un guide adroit qui se plaît à conduire un char entre les rochers & les précipices, & que le succès seul justifie : il est juste de la louer, il serait imprudent de la suivre ; elle-même en convient & s’en accuse. A mesure qu’elle a vu davantage, ses principes sont devenus plus sévères ; & je ne crains pas de vous assurer qu’elle-même penserait comme moi.