Aller au contenu

Page:Choderlos de Laclos - Les Liaisons dangereuses, 1869, Tome 1.djvu/112

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
106
LES LIAISONS

Je ne fus pas très étonné qu’elle ne voulût pas recevoir cette lettre, que je lui offrais tout simplement ; c’eût été déjà accorder quelque chose, & je m’attends à une plus longue défense. Après cette tentative, qui n’était qu’un essai fait en passant, je mis une enveloppe à ma lettre ; & prenant le moment de la toilette, où madame de Rosemonde & la femme de chambre étaient présentes, je la lui envoyai par mon chasseur, avec ordre de lui dire que c’était le papier qu’elle m’avait demandé. J’avais bien deviné qu’elle craindrait l’explication scandaleuse que nécessiterait un refus : en effet, elle prit la lettre ; & mon ambassadeur, qui avait ordre d’observer sa figure, & qui ne voit pas mal, n’aperçut qu’une légère rougeur & plus d’embarras que de colère.

Je me félicitais donc : bien sûr, ou qu’elle garderait cette lettre, ou que si elle voulait me la rendre, il faudrait qu’elle se trouvât seule avec moi ; ce qui me donnerait une occasion de lui parler. Environ une heure après, un de ses gens entre dans ma chambre, & me remet, de la part de sa maîtresse, un paquet d’une autre forme que le mien, & sur l’enveloppe duquel je reconnais l’écriture tant désirée. J’ouvre avec précipitation… C’était ma lettre elle-même, non décachetée & pliée seulement en deux. Je soupçonne que la crainte que je ne fusse moins scrupuleux qu’elle sur le scandale, lui a fait employer cette ruse diabolique.

Vous me connaissez ; je n’ai pas besoin de vous peindre ma fureur. Il fallut pourtant reprendre son