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DANGEREUSES.

Le lendemain au déjeuner, ce n’était plus la même femme. La douceur naturelle était revenue, & j’eus lieu de me croire pardonné. Le déjeuner était à peine fini, que la douce personne se leva d’un air indolent & entra dans le parc ; je la suivis, comme vous pouvez croire. « D’où peut naître ce désir de promenade ? lui dis-je en l’abordant. — J’ai beaucoup écrit ce matin, me répondit-elle, & ma tête est un peu fatiguée. — Je ne suis pas assez heureux, repris-je, pour avoir à me reprocher cette fatigue-là. — Je vous ai bien écrit, répondit-elle encore, mais j’hésite à vous donner ma lettre. Elle contient une demande, & vous ne m’avez pas accoutumée à en espérer le succès. — Ah ! je jure que s’il est possible… — Rien n’est plus facile, interrompit-elle ; & quoique vous dussiez peut-être l’accorder comme justice, je consens à l’obtenir comme grâce. » En disant ces mots, elle me présenta sa lettre ; en la prenant, je pris aussi sa main, qu’elle retira, mais sans colère, & avec plus d’embarras que de vivacité. « La chaleur est plus vive que je ne croyais, dit-elle ; il faut rentrer. » Et elle reprit la route du château. Je fis de vains efforts pour lui persuader de continuer sa promenade, & j’eus besoin de me rappeler que nous pouvions être vus, pour n’y employer que de l’éloquence. Elle rentra sans proférer une parole, & je vis clairement que cette feinte promenade n’avait eu d’autre but que de me remettre sa lettre. Elle monta chez elle en rentrant ; & je me retirai chez moi pour lire l’épître, que vous ferez bien de lire aussi, ainsi que ma réponse, avant d’aller plus loin…