Page:Choderlos de Laclos - Les Liaisons dangereuses, 1869, Tome 1.djvu/142

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’emparer aisément le soir, & qu’il lui était facile de replacer le matin, sans donner le moindre soupçon. J’offris dix louis pour ce léger service : mais je ne trouvai qu’une bégueule, scrupuleuse ou timide, que mon éloquence ni mon argent ne purent vaincre. Je la prêchais encore, quand le souper sonna. Il fallut la laisser ; trop heureux qu’elle voulût bien me promettre le secret, sur lequel même vous jugez que je ne comptais guère.

Jamais je n’eus plus d’humeur. Je me sentais compromis ; & je me reprochai, toute la soirée, ma démarche imprudente.

Retiré chez moi, non sans inquiétude, je parlai à mon chasseur, qui, en sa qualité d’amant heureux, devait avoir quelque crédit. Je voulais, ou qu’il obtînt de cette fille de faire ce que je lui avais demandé, ou au moins qu’il s’assurât de sa discrétion ; mais lui, qui d’ordinaire ne doute de rien, parut douter du succès de cette négociation, & me fit à ce sujet une réflexion qui m’étonna par sa profondeur.

« Monsieur sait sûrement mieux que moi, me dit-il, que coucher avec une fille, ce n’est que lui faire faire ce qui lui plaît : de là à lui faire faire ce que nous voulons, il y a souvent bien loin. »

Le bon sens du maraud quelquefois m’épouvante.[1]

« Je réponds d’autant moins de celle-ci, ajouta-t-il, que j’ai lieu de croire qu’elle a un amant, & que je ne la dois qu’au désœuvrement de la campagne.

  1. Piron, Métromanie.