Page:Choderlos de Laclos - Les Liaisons dangereuses, 1869, Tome 1.djvu/144

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Comme je sentais que plus cette fille serait humiliée, plus j’en disposerais facilement, je ne lui permis de changer ni de situation ni de parure ; & après avoir ordonné à mon valet de m’attendre chez moi, je m’assis à côté d’elle sur le lit qui était fort en désordre, & je commençai ma conversation. J’avais besoin de garder l’empire que la circonstance me donnait sur elle : aussi conservai-je un sang-froid qui eût fait honneur à la continence de Scipion ; & sans prendre la plus petite liberté avec elle, ce que pourtant sa fraîcheur & l’occasion semblaient lui donner le droit d’espérer, je lui parlai d’affaires aussi tranquillement que j’aurais pu faire avec un procureur.

Mes conditions furent que je garderais fidèlement le secret, pourvu que le lendemain, à pareille heure ou à peu près, elle me livrât les poches de sa maîtresse.

« Au reste, ajoutai-je, je vous avais offert dix louis hier ; je vous les promets encore aujourd’hui. Je ne veux pas abuser de votre situation. » Tout fut accordé, comme vous pouvez croire ; alors je me retirai & permis à l’heureux couple d’aller réparer le temps perdu.

J’employai le mien à dormir ; & à mon réveil, voulant trouver un prétexte pour ne pas répondre à la lettre de ma belle avant d’avoir visité ses papiers, ce que je ne pouvais faire que la nuit suivante, je me décidai à aller à la chasse, où je restai presque tout le jour.

A mon retour, je fus reçu assez froidement. J’ai lieu de croire qu’on fut un peu piqué du peu d’empressement que je mettais à profiter du temps qui me restait, surtout après la lettre plus douce que l’on m’avait écrite.