Page:Choderlos de Laclos - Les Liaisons dangereuses, 1869, Tome 1.djvu/179

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eût eu besoin de plus de mystère, car le mystère mène à l’audace. Je ne suis pas éloigné de croire que vous nous avez nui en le servant trop bien ; votre conduite eût été excellente avec un homme usagé, qui n’eût eu que des désirs : mais vous auriez pu prévoir que pour un homme jeune, honnête & amoureux, le plus grand prix des faveurs est d’être la preuve de l’amour ; & que par conséquent, plus il serait sûr d’être aimé, moins il serait entreprenant. Que faire à présent ? je n’en sais rien ; mais je n’espère pas que la petite soit prise avant le mariage, & nous en serons pour nos frais : j’en suis fâché, mais je n’y vois pas de remède.

Pendant que je disserte ici, vous faites mieux avec votre chevalier. Cela me fait songer que vous m’avez promis une infidélité en ma faveur ; j’en ai votre promesse par écrit, & je ne veux pas en faire un billet de La Châtre. Je conviens que l’échéance n’est pas encore arrivée ; mais il serait généreux à vous de ne pas l’attendre ; & de mon côté, je vous tiendrais compte des intérêts. Qu’en dites-vous, ma belle amie ? Est-ce que vous n’êtes pas fatiguée de votre constance ? Ce chevalier est donc bien merveilleux ? Oh ! laissez-moi faire ; je veux vous forcer de convenir que si vous lui avez trouvé quelque mérite, c’est que vous m’aviez oublié.

Adieu, ma belle amie ; je vous embrasse comme je vous désire ; je défie tous les baisers du chevalier d’avoir autant d’ardeur.

De … ce 5 septembre 17…