sente bien la valeur & l’étendue de chacun des sacrifices qu’elle me fera ; de ne pas la conduire si vite, que le remords ne puisse la suivre ; de faire expirer sa vertu dans une lente agonie ; de la fixer sans cesse sur ce désolant spectacle ; & de ne lui accorder le bonheur de m’avoir dans ses bras, qu’après l’avoir forcée à n’en plus dissimuler le désir. Au fait, je vaux bien peu, si je ne vaux la peine d’être demandé. Et puis-je me venger moins d’une femme hautaine, qui semble rougir d’avouer qu’elle m’adore ?
J’ai donc refusé la précieuse amitié, & m’en suis tenu à mon titre d’amant. Comme je ne me dissimule point que ce titre, qui ne paraît d’abord qu’une dispute de mots, & pourtant d’une importance réelle à obtenir, j’ai mis beaucoup de soin à ma lettre, & j’ai tâché d’y mettre ce désordre, qui peut seul peindre le sentiment. J’ai enfin déraisonné le plus qu’il m’a été possible : car sans déraisonnement, point de tendresse ; & c’est je crois, par cette raison, que les femmes nous sont si supérieures dans les lettres d’amour.
J’ai fini la mienne par une cajolerie, & c’est encore une suite de mes profondes observations. Après que le cœur d’une femme a été exercé quelque temps, il a besoin de repos ; & j’ai remarqué qu’une cajolerie était, pour toutes, l’oreiller le plus doux à leur offrir.
Adieu, ma belle amie. Je pars demain. Si vous avez des ordres à me donner pour la comtesse de ***, je m’arrêterai chez elle, au moins pour dîner. Je suis fâché de partir sans vous voir. Faites-moi passer vos