Page:Choderlos de Laclos - Les Liaisons dangereuses, 1869, Tome 1.djvu/242

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A compter, monsieur, du jour de votre arrivée dans ce château, vous avouerez, je crois, qu’au moins votre réputation m’autorisait à user de quelque réserve avec vous, & que j’aurais pu, sans craindre d’être taxée d’un excès de pruderie, m’en tenir aux seules expressions de la politesse la plus froide. Vous-même m’eussiez traitée avec indulgence, & vous eussiez trouvé simple qu’une femme aussi peu formée, n’eût pas même le mérite nécessaire pour apprécier le vôtre. C’était sûrement là le parti de la prudence ; & il m’eût d’autant moins coûté à suivre, que je ne vous cacherai pas que, quand madame de Rosemonde vint me faire part de votre arrivée, j’eus besoin de me rappeler mon amitié pour elle, & celle qu’elle a pour vous, pour ne pas lui laisser voir combien cette nouvelle me contrariait.

Je conviens volontiers que vous vous êtes montré d’abord sous un aspect plus favorable que je ne l’avais imaginé ; mais vous conviendrez à votre tour qu’il a bien peu duré, & que vous vous êtes bientôt lassé d’une contrainte, dont apparemment vous ne vous êtes pas cru suffisamment dédommagé par l’idée avantageuse qu’elle m’avait fait prendre de vous.

C’est alors qu’abusant de ma bonne foi, de ma sécurité, vous n’avez pas craint de m’entretenir d’un sentiment dont vous ne pouviez pas douter que je ne me trouvasse offensée ; & moi, tandis que vous ne vous occupiez qu’à aggraver vos torts en les multipliant, je cherchais un motif pour les oublier, en vous