Page:Choderlos de Laclos - Les Liaisons dangereuses, 1869, Tome 1.djvu/244

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tous vos soins à l’augmenter encore. A table, vous choisissez précisément votre place à côté de la mienne : une légère indisposition me force d’en sortir avant les autres ; & au lieu de respecter ma solitude, vous engagez tout le monde à venir la troubler. Rentrée au salon, si je fais un pas, je vous trouve à côté de moi ; si je dis une parole, c’est toujours vous qui me répondez. Le mot le plus indifférent vous sert de prétexte pour ramener une conversation que je ne voulais pas entendre, qui pouvait même me compromettre ; car enfin, monsieur, quelque adresse que vous y mettiez, ce que je comprends, je crois que les autres peuvent aussi le comprendre.

Forcée ainsi par vous à l’immobilité et au silence, vous n’en continuez pas moins de me poursuivre ; je ne puis lever les yeux sans rencontrer les vôtres ; je suis sans cesse obligée de détourner mes regards ; &, par une inconséquence bien incompréhensible, vous fixez sur moi ceux du cercle, dans un moment où j’aurais voulu pouvoir même me dérober aux miens.

Et vous vous plaignez de mes procédés ! & vous vous étonnez de mon empressement à vous fuir ! Ah ! blâmez-moi plutôt de mon indulgence, étonnez-vous que je ne sois pas partie au moment de votre arrivée. Je l’aurais dû peut-être, & vous me forcerez à ce parti violent, mais nécessaire, si vous ne cessez enfin des poursuites offensantes. Non, je n’oublie point, je n’oublierai jamais ce que je me dois, ce que je dois à des nœuds que j’ai formés, que je respecte & que je chéris ; & je vous prie de croire que, si jamais je me