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DANGEREUSES.

une rouerie[1] de plus à mettre dans vos mémoires : oui, dans vos mémoires, car je veux qu’ils soient imprimés un jour, & je me charge de les écrire. Mais laissons cela, et revenons à ce qui m’occupe.

Madame de Volanges marie sa fille : c’est encore un secret ; mais elle m’en a fait part hier. Et qui croyez-vous qu’elle ait choisi pour gendre ? Le comte de Gercourt. Qui m’aurait dit que je deviendrais la cousine de Gercourt ? J’en suis dans une fureur… Eh bien ! vous ne devinez pas encore ? oh ! l’esprit lourd ! Lui avez-vous donc pardonné l’aventure de l’intendante ? Et moi, n’ai-je pas encore plus à me plaindre de lui, monstre que vous êtes[2] ? Mais je m’apaise, et l’espoir de me venger rassérène mon âme.

Vous avez été ennuyé cent fois, ainsi que moi, de l’importance que met Gercourt à la femme qu’il aura, et de la sotte présomption qui lui fait croire qu’il évitera le sort inévitable. Vous connaissez ses ridicules préventions pour les éducations cloîtrées & son préjugé plus ridicule encore, en faveur de la retenue

  1. Ces mots roué & rouerie, dont heureusement la bonne compagnie commence à se défaire, était fort en usage à l’époque où ces Lettres ont été écrites.
  2. Pour entendre ce passage, il faut savoir que le comte de Gercourt avait quitté la marquise de Merteuil pour l’intendante de…, qui lui avait sacrifié le vicomte de Valmont, et que c’est alors que la marquise & le vicomte s’attachèrent l’un à l’autre. Comme cette aventure est fort antérieure aux événements dont il est question dans ces Lettres, on a cru devoir en supprimer toute la correspondance.