Page:Choderlos de Laclos - Les Liaisons dangereuses, 1869, Tome 1.djvu/265

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ouvrage. Ma tête seule fermentait ; je n’avais pas l’idée de jouir, je voulais savoir ; le désir de m’instruire m’en suggéra les moyens.

Je sentis que le seul homme avec qui je pouvais parler sur cet objet sans me compromettre, était mon confesseur. Aussitôt je pris mon parti ; je surmontai ma petite honte ; & me vantant d’une faute que je n’avais pas commise, je m’accusai d’avoir fait tout ce que font les femmes. Ce fut mon expression ; mais en parlant ainsi, je ne savais, en vérité, quelle idée j’exprimais. Mon espoir ne fut ni tout à fait trompé, ni entièrement rempli ; la crainte de me trahir m’empêchait de m’éclairer : mais le bon Père me fit le mal si grand, que j’en conclus que le plaisir devait être extrême ; & au désir de le connaître, succéda celui de le goûter.

Je ne sais où ce désir m’aurait conduite ; & alors dénuée d’expérience, peut-être une seule occasion m’eût perdue : heureusement pour moi, ma mère m’annonça peu de jours après que j’allais me marier ; sur-le-champ la certitude de savoir éteignit ma curiosité, & j’arrivai vierge entre les bras de M. de Merteuil.

J’attendais avec sécurité le moment qui devait m’instruire, & j’eus besoin de réflexion pour montrer de l’embarras & de la crainte. Cette première nuit, dont on se fait pour l’ordinaire une idée si cruelle ou si douce, ne me présentait qu’une occasion d’expérience : douleur & plaisir, j’observai tout exactement, & ne voyais dans ces diverses sensations, que des faits