Page:Choderlos de Laclos - Les Liaisons dangereuses, 1869, Tome 1.djvu/270

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ou après le succès. Cette différence n’échappe point à l’observateur attentif ; & j’ai trouvé moins dangereux de me tromper dans le choix que de le laisser pénétrer. Je gagne encore par là d’ôter les vraisemblances, sur lesquelles seules on peut nous juger.

Ces précautions & celles de ne jamais écrire, de ne livrer jamais aucune preuve de ma défaite, pouvaient paraître excessives, & ne m’ont jamais paru suffisantes. Descendue dans mon cœur, j’y ai étudié celui des autres. J’y ai vu qu’il n’est personne qui n’y conserve un secret qu’il lui importe qui ne soit point dévoilé : vérité que l’antiquité paraît avoir mieux connue que nous, & dont l’histoire de Samson pourrait n’être qu’un ingénieux emblème. Nouvelle Dalila, j’ai toujours, comme elle, employé ma puissance à surprendre ce secret important. Eh ! de combien de nos Samsons modernes ne tiens-je pas la chevelure sous le ciseau ? Et ceux-là, j’ai cessé de les craindre ; ce sont les seuls que je me sois permis d’humilier quelquefois. Plus souple avec les autres, l’art de les rendre infidèles pour éviter de leur paraître volage, une feinte amitié, une apparente confiance, quelques procédés généreux, l’idée flatteuse, & que chacun conserve d’avoir été mon seul amant, m’ont obtenu leur discrétion. Enfin, quand ces moyens m’ont manqué, j’ai su, prévoyant mes ruptures, étouffer d’avance, sous le ridicule ou la calomnie, la confiance que ces hommes dangereux auraient pu obtenir.

Ce que je vous dis là, vous me le voyez pratiquer