Page:Choderlos de Laclos - Les Liaisons dangereuses, 1869, Tome 2.djvu/171

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forcé de l’abandonner, & dont la perte irrite & multiplie les chagrins déjà trop réels, inséparables d’une passion vive. Cet emploi d’adoucir vos peines, ou d’en diminuer le nombre, est le seul que je veuille, que je puisse remplir en ce moment. Dans les maux sans remèdes, les conseils ne peuvent plus porter que sur le régime. Ce que je vous demande seulement, c’est de vous souvenir que plaindre un malade, ce n’est pas le blâmer. Eh ! qui sommes-nous, pour nous blâmer les uns les autres ? Laissons le droit de juger à celui-là seul qui lit dans les cœurs ; & j’ose même croire qu’à ses yeux paternels, une foule de vertus peut racheter une faiblesse.

Mais, je vous en conjure, ma chère amie, défendez-vous surtout de ces résolutions violentes, qui annoncent moins la force qu’un entier découragement : n’oubliez pas qu’en rendant un autre possesseur de votre existence, pour me servir de votre expression, vous n’avez pas pu cependant frustrer vos amis de ce qu’ils en possédaient à l’avance, & qu’ils ne cesseront jamais de réclamer.

Adieu, ma chère fille ; songez quelquefois à votre tendre mère, & croyez que vous serez toujours, & par-dessus tout, l’objet de ses plus chères pensées.

Du château de… ce 4 novembre 17…