Page:Choderlos de Laclos - Les Liaisons dangereuses, 1869, Tome 2.djvu/173

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Mais, dites-moi, vicomte, qui de nous deux se chargera de tromper l’autre ? Vous savez l’histoire de ces deux fripons, qui se reconnurent en jouant : nous ne nous ferons rien, se dirent-ils, payons les cartes par moitié ; & ils quittèrent la partie. Suivons, croyez-moi, ce prudent exemple, & ne perdons pas ensemble un temps que nous pouvons si bien employer ailleurs.

Pour vous prouver qu’ici votre intérêt me décide autant que le mien, & que je n’agis ni par humeur, ni par caprice, je ne vous refuse pas le prix convenu entre nous : je sens à merveille que pour une seule soirée nous nous suffirons de reste ; & je ne doute même pas que nous ne sachions assez l’embellir pour ne la voir finir qu’à regret. Mais n’oublions pas que ce regret est nécessaire au bonheur ; & quelque douce que soit notre illusion, n’allons pas croire qu’elle puisse être durable.

Vous voyez que je m’exécute à mon tour, & cela, sans que vous vous soyez encore mis en règle vis-à-vis de moi, car enfin je devais avoir la première lettre de la céleste prude ; & pourtant, soit que vous y teniez encore, soit que vous ayez oublié les conditions d’un marché qui vous intéresse peut-être moins que vous ne voulez me le faire croire, je n’ai rien reçu, absolument rien. Cependant, ou je me trompe, ou la tendre dévote doit beaucoup écrire ; car que ferait-elle quand elle est seule ? Elle n’a sûrement pas le bon esprit de se distraire. J’aurais donc, si je voulais, quelques petits reproches à vous faire ; mais je les passe sous