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DANGEREUSES.

moment, croyez-vous donc que je n’aie pas aussi ma délicatesse, & que je veuille accepter des sacrifices qui nuiraient à votre bonheur ?

Or, est-il vrai, vicomte, que vous vous faites illusion sur le sentiment qui vous attache à madame de Tourvel. C’est de l’amour, ou il n’en exista jamais : vous le niez bien de cent façons, mais vous le prouvez de mille. Qu’est-ce, par exemple, que ce subterfuge dont vous vous servez vis-à-vis de vous-même (car je vous crois sincère avec moi), qui vous fait rapporter à l’envie d’observer, le désir que vous ne pouvez ni cacher ni combattre, de garder cette femme ? Ne dirait-on pas que jamais vous n’en avez rendu une autre heureuse, parfaitement heureuse ? Ah ! si vous en doutez, vous avez bien peu de mémoire ! Mais non, ce n’est pas cela. Tout simplement votre cœur abuse votre esprit, & le fait se payer de mauvaises raisons : mais moi, qui ai un grand intérêt à ne m’y pas tromper, je ne suis pas si facile à contenter.

C’est ainsi qu’en remarquant votre politesse, qui vous a fait supprimer soigneusement tous les mots que vous vous êtes imaginé m’avoir déplu, j’ai vu cependant que, peut-être sans vous en apercevoir, vous n’en conserviez pas moins les mêmes idées. En effet, ce n’est plus l’adorable, la céleste Mme de Tourvel ; mais c’est une femme étonnante, une femme délicate & sensible, & cela, à l’exclusion de toutes les autres ; une femme rare enfin, & telle qu’on n’en rencontrerait pas une seconde. Il en est de même de ce charme inconnu, qui n’est pas le plus fort. Eh bien ! soit : mais