Page:Choderlos de Laclos - Les Liaisons dangereuses, 1869, Tome 2.djvu/193

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n’être sûre d’un empire toujours usurpé, que par l’abus qu’elles se permettent d’en faire, Émilie se garda bien d’en laisser échapper une occasion si éclatante. Plus elle voyait mon embarras s’accroître, plus elle affectait de se montrer ; & sa folle gaieté, dont je rougis que vous ayez pu un moment vous croire l’objet, n’avait de cause que la peine cruelle que je ressentais, qui elle-même venait encore de mon respect & de mon amour.

Jusques-là, sans doute, je suis plus malheureux que coupable ; & ces torts, qui seraient ceux de tout le monde, & les seuls dont vous me parlez, ces torts n’existant pas, ne peuvent m’être reprochés. Mais vous vous taisez en vain sur ceux de l’amour : je ne garderai pas sur eux le même silence ; un trop grand intérêt m’oblige à le rompre.

Ce n’est pas que, dans la confusion où je suis de cet inconcevable égarement, je puisse, sans une extrême douleur, prendre sur moi d’en rappeler le souvenir. Pénétré de mes torts, je consentirais à en porter la peine, ou j’attendrais mon pardon du temps, de mon éternelle tendresse & de mon repentir. Mais comment pouvoir me taire, quand ce qui me reste à vous dire importe à votre délicatesse ?

Ne croyez pas que je cherche un détour pour excuser ou pallier ma faute ; je m’avoue coupable. Mais je n’avoue point, je n’avouerai jamais que cette erreur humiliante puisse être regardée comme un tort de l’amour. Eh ! que peut-il y avoir de commun entre une surprise des sens, entre un moment d’oubli de