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Lettre CXLIV.

Le vicomte de Valmont à la marquise de Merteuil.

Hier, à cinq heures du soir, ma belle amie, impatienté de n’avoir pas de nouvelles, je me suis présenté chez la belle délaissée ; & on m’a dit qu’elle était sortie. Je n’ai vu, dans cette phrase, qu’un refus de me recevoir, qui ne m’a ni fâché ni surpris ; & je me suis retiré, dans l’espérance que cette démarche de ma part engagerait au moins une femme si polie à m’honorer d’un mot de réponse. L’envie que j’avais de la recevoir m’a fait passer exprès chez moi vers les neuf heures, & je n’y ai rien trouvé. Etonné de ce silence, auquel je ne m’attendais pas, j’ai chargé mon chasseur d’aller aux informations, & de savoir si la sensible personne était morte ou mourante. Enfin, quand je suis rentré, il m’a appris que madame de Tourvel était sortie en effet à onze heures du matin, avec sa femme de chambre ; qu’elle s’était fait conduire au couvent de ..., & qu’à sept heures du soir, elle avait renvoyé sa voiture & ses gens, en faisant dire qu’on ne l’attende pas chez elle. Assurément, c’est se mettre en règle. Le couvent est le véritable asile d’une veuve ; & si elle persiste dans une résolution si louable, je joindrai à toutes les obligations que je lui ai déjà, celle de la célébrité que va prendre cette aventure.