Page:Choderlos de Laclos - Les Liaisons dangereuses, 1869, Tome 2.djvu/215

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dente ? vous lui avez envoyé la lettre que je vous avais faite pour elle ? En vérité, vous êtes charmant, & vous avez surpassé mon attente ! J’avoue de bonne foi que ce triomphe me flatte plus que tous ceux que j’ai pu obtenir jusqu’à présent. Vous allez trouver peut-être que j’évalue bien haut cette femme, que naguère j’appréciais si peu ; point du tout : mais c’est que ce n’est pas sur elle que j’ai remporté cet avantage ; c’est sur vous : voilà le plaisant, & ce qui est vraiment délicieux.

Oui, vicomte, vous aimiez beaucoup madame de Tourvel, & même vous l’aimez encore ; vous l’aimez comme un fou ; mais parce que je m’amusais à vous en faire honte, vous l’avez bravement sacrifiée. Vous en auriez sacrifié mille, plutôt que de souffrir une plaisanterie. Où nous conduit pourtant la vanité ! Le sage a bien raison, quand il dit qu’elle est l’ennemie du bonheur.

Où en seriez-vous à présent, si je n’avais voulu que vous faire une malice ? Mais je suis incapable de tromper, vous le savez bien ; & dussiez-vous, à mon tour, me réduire au désespoir & au couvent, j’en cours les risques, & je me rends à mon vainqueur.

Cependant si je capitule, c’est en vérité pure faiblesse : car si je voulais, que de chicanes n’aurais-je pas encore à faire ! & peut-être le mériteriez-vous ? J’admire, par exemple, avec quelle finesse ou quelle gaucherie vous me proposez en douceur de vous laisser renouer avec la présidente. Il vous conviendrait beaucoup, n’est-ce pas, de vous donner le mérite de