Page:Choderlos de Laclos - Les Liaisons dangereuses, 1869, Tome 2.djvu/221

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que oui, elle demanda d’aller la revoir : la prieure l’y accompagna avec quelques autres religieuses. Ce fut alors qu’elle déclara qu’elle revenait s’établir dans cette chambre, que, disait-elle, elle n’aurait jamais dû quitter ; & qu’elle ajouta qu’elle n’en sortirait qu’à la mort : ce fut son expression.

D’abord on ne sut que dire : mais le premier étonnement passé, on lui représenta que sa qualité de femme mariée ne permettait pas de la recevoir sans une permission particulière. Cette raison ni mille autres n’y firent rien ; & de ce moment elle s’obstina, non seulement à ne pas sortir du couvent, mais même de sa chambre. Enfin, de guerre lasse, à sept heures du soir, on consentit à ce qu’elle y passât la nuit. On renvoya sa voiture & ses gens, & on remit au lendemain à prendre un parti.

On assure que pendant toute la soirée, loin que son air ou son maintien eussent rien d’égaré, l’un & l’autre étaient composés & réfléchis ; que seulement elle tomba quatre ou cinq fois dans une rêverie si profonde, qu’on ne parvenait pas à l’en tirer en lui parlant ; & que, chaque fois, avant d’en sortir, elle portait les deux mains à son front qu’elle avait l’air de serrer avec force : sur quoi, une des religieuses qui étaient présentes lui ayant demandé si elle souffrait de la tête, elle la fixa longtemps avant de répondre, & lui dit enfin : « Ce n’est pas là qu’est le mal ! » Un moment après, elle demanda qu’on la laissât seule, & pria qu’à l’avenir on ne lui fît plus de question.