Page:Choderlos de Laclos - Les Liaisons dangereuses, 1869, Tome 2.djvu/247

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Pour moi, mon cher ami, il me semble que, même dans vos nouveaux principes, que j’avoue bien aussi un peu les miens, les circonstances me décideraient pour la jeune amante. D’abord, c’en est une de plus, & puis la nouveauté, & encore la crainte de perdre le fruit de vos soins en négligeant de le cueillir ; car enfin, de ce côté ce serait véritablement l’occasion manquée, & elle ne revient pas toujours, surtout pour une première faiblesse : souvent, dans ce cas, il ne faut qu’un moment d’humeur, un soupçon jaloux, moins encore, pour empêcher le plus beau triomphe. La vertu qui se noie se raccroche quelquefois aux branches ; & une fois réchappée, elle se tient sur ses gardes, & n’est plus facile à surprendre.

Au contraire, de l’autre côté, que risquez-vous ? pas même une rupture ; une brouillerie tout au plus, où l’on achète de quelques soins le plaisir d’un raccommodement. Quel autre parti reste-t-il à une femme déjà rendue, que celui de l’indulgence ? Que gagnerait-elle à la sévérité ? la perte de ses plaisirs, sans profit pour sa gloire.

Si, comme je le suppose, vous prenez le parti de l’amour, qui me paraît aussi celui de la raison, je crois qu’il est de la prudence de ne point vous faire excuser au rendez-vous manqué ; laissez-vous attendre tout simplement : si vous risquez de donner une raison, on sera peut-être tenté de la vérifier. Les femmes sont curieuses & obstinées ; tout peut se découvrir : je viens, comme vous savez, d’en être moi-même un exemple. Mais si vous laissez l’espoir, comme il sera