Page:Choderlos de Laclos - Les Liaisons dangereuses, 1869, Tome 2.djvu/266

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cette femme infortunée a retrouvé toute sa tête, soit que la nature seule ait produit cette révolution, soit qu’elle ait été causée par ces mots répétés de M. de Valmont & de mort, qui ont pu rappeler à la malade les seules idées dont elle s’occupait depuis longtemps.

Quoi qu’il en soit, elle ouvrit précipitamment les rideaux de son lit, en s’écriant : « Quoi ! que dites-vous ? M. de Valmont est mort ! » J’espérais lui faire croire qu’elle s’était trompée, & je l’assurai d’abord qu’elle avait mal entendu : mais loin de se laisser persuader ainsi, elle exigea de son médecin qu’il recommençât ce cruel récit ; & sur ce que je voulus essayer encore de la dissuader, elle m’appela & me dit à voix basse : « Pourquoi vouloir me tromper ? n’était-il pas déjà mort pour moi ! » Il a donc fallu céder.

Notre malheureuse amie a écouté d’abord d’un air assez tranquille ; mais bientôt après, elle a interrompu le récit, en disant : « Assez, j’en sais assez. » Elle a demandé sur-le-champ qu’on fermât ses rideaux ; & lorsque le médecin a voulu s’occuper ensuite des soins de son état, elle n’a jamais voulu souffrir qu’il approchât d’elle.

Dès qu’il a été sorti, elle a pareillement renvoyé sa garde & sa femme de chambre ; & quand nous avons été seules, elle m’a priée de l’aider à se mettre à genoux sur son lit, & de l’y soutenir. Là elle est restée quelque temps en silence, & sans autre expression que celle de ses larmes qui coulaient abondamment. Enfin, joignant ses mains & les élevant vers le ciel : « Dieu tout-puissant, a-t-elle dit d’une voix faible,