Page:Choderlos de Laclos - Les Liaisons dangereuses, 1869, Tome 2.djvu/288

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pez le sort de ma fille ! & vous paraissez craindre que je ne tente de le soulever ! Que me cache-t-il donc qui puisse affliger davantage le cœur d’une mère, que les affreux soupçons auxquels vous me livrez ? Plus je connais votre amitié, votre indulgence, & plus mes tourments redoublent : vingt fois, depuis hier, j’ai voulu sortir de ces cruelles incertitudes, & vous demander de m’instruire sans ménagement & sans détour ; & chaque fois j’ai frémi de crainte, en songeant à la prière que vous me faites de ne pas vous interroger. Enfin, je m’arrête à un parti qui me laisse encore quelque espoir ; & j’attends de votre amitié que vous ne vous refuserez pas à ce que je désire : c’est de me répondre si j’ai à peu près compris ce que vous pouviez avoir à me dire ; de ne pas craindre de m’apprendre tout ce que l’indulgence maternelle peut couvrir, & qui n’est pas impossible à réparer. Si mes malheurs excèdent cette mesure, alors je consens à vous laisser en effet ne vous expliquer que par votre silence ; voici donc ce que j’ai su déjà, & jusqu’où mes craintes peuvent s’étendre.

Ma fille a montré avoir quelque goût pour le chevalier Danceny, & j’ai été informée qu’elle a été jusqu’à recevoir des lettres de lui, & même jusqu’à lui répondre ; mais je croyais être parvenue à empêcher que cette erreur d’un enfant n’eût aucune suite dangereuse : aujourd’hui que je crains tout, je conçois qu’il serait possible que ma surveillance eût été trompée, & je redoute que ma fille, séduite, n’ait mis le comble à ses égarements.