Page:Choderlos de Laclos - Les Liaisons dangereuses, 1869, Tome 2.djvu/290

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répondiez, & quel coup affreux me porterait votre silence[1].

J’allais fermer ma lettre, quand un homme de ma connaissance est venu me voir, & m’a raconté la cruelle scène que madame de Merteuil a essuyée avant-hier. Comme je n’ai vu personne tous ces derniers jours, je n’en avais rien su jusqu’à ce moment ; en voilà le récit, tel que je le tiens d’un témoin oculaire.

Madame de Merteuil, en arrivant de la campagne, avant-hier jeudi, s’est fait descendre à la Comédie italienne, où elle avait sa loge ; elle y était seule, et, ce qui dut lui paraître extraordinaire, aucun homme ne s’y présenta pendant tout le spectacle. À la sortie, elle entra, suivant son usage, au petit salon, qui était déjà rempli de monde ; sur-le-champ il s’éleva une rumeur, mais dont apparemment elle ne se crut pas l’objet. Elle aperçut une place vide sur l’une des banquettes, & elle alla s’y asseoir ; mais aussitôt toutes les femmes qui y étaient déjà se levèrent comme de concert, & l’y laissèrent absolument seule. Ce mouvement marqué d’indignation générale fut applaudi de tous les hommes, & fit redoubler les murmures, qui, dit-on, allèrent jusqu’aux huées.

Pour que rien ne manquât à son humiliation, son malheur voulut que M. de Prévan, qui ne s’était montré nulle part depuis son aventure, entrât dans le même moment dans le petit salon. Dès qu’on l’aperçut, tout le monde, hommes & femmes, l’entoura

  1. Cette lettre est resté sans réponse.