Page:Choderlos de Laclos - Les Liaisons dangereuses, 1869, Tome 2.djvu/57

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parti d’ici ce matin, de n’avoir pas su que madame de Tourvel en partait aussi ; ou, si vous l’avez su, de n’être pas venu m’en avertir. A quoi sert-il donc que vous dépensiez mon argent à vous enivrer avec les valets ; que le temps que vous devriez employer à me servir, vous le passiez à faire l’agréable auprès des femmes de chambre, si je n’en suis pas mieux informé de ce qui se passe ? Voilà pourtant de vos négligences ! Mais je vous préviens que s’il vous en arrive une seule dans cette affaire-ci, ce sera la dernière que vous aurez à mon service.

Il faut que vous m’instruisiez de tout ce qui se passe chez madame de Tourvel, de sa santé ; si elle dort ; si elle est triste ou gaie ; si elle sort souvent, & chez qui elle va ; si elle reçoit du monde chez elle, & qui y vient ; à quoi elle passe son temps, si elle a de l’humeur avec ses femmes, particulièrement avec celle qu’elle avait amenée ici ; ce qu’elle fait quand elle est seule ; si quand elle lit, elle lit de suite, ou si elle interrompt sa lecture pour rêver ; de même quand elle écrit. Songez aussi à vous rendre l’ami de celui qui porte ses lettres à la poste. Offrez-vous souvent à lui pour faire cette commission à sa place ; & quand il acceptera, ne faites partir que celles qui vous paraîtront indifférentes, & envoyez-moi les autres, surtout celles à madame de Volanges, si vous en rencontrez.

Arrangez-vous donc pour être encore quelque temps l’amant heureux de votre Julie. Si elle en a un autre, comme vous l’avez cru, faites-la consentir à se partager ; & n’allez pas vous piquer d’une ridicule délica-