Page:Choderlos de Laclos - Les Liaisons dangereuses, 1869, Tome 2.djvu/62

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plaindre, ni le consoler ; à me défendre chaque jour contre lui, contre moi-même ; à mettre mes soins à causer sa peine, quand je voudrais les consacrer tous à son bonheur : vivre ainsi n’est-ce pas mourir mille fois ? voilà pourtant quel va être mon sort. Je le supporterai cependant, j’en aurai le courage. Oh ! vous, que je choisis pour ma mère, recevez-en le serment !

Recevez aussi celui que je fais de ne vous dérober aucune de mes actions ; recevez-le, je vous en conjure ; je vous le demande comme un secours dont j’ai besoin : ainsi engagée à vous dire tout, je m’accoutumerai à me croire toujours en votre présence. Votre vertu remplacera la mienne. Jamais, sans doute, je ne consentirai à rougir à vos yeux et, retenue par ce frein puissant, tandis que je chérirai en vous l’indulgente amie confidente de ma faiblesse, j’y honorerai encore l’ange tutélaire qui me sauvera de la honte.

C’est bien en éprouver assez que d’avoir à faire cette demande. Fatal effet d’une présomptueuse confiance ! Pourquoi n’ai-je pas redouté plus tôt ce penchant que j’ai senti naître ? Pourquoi me suis-je flattée de pouvoir à mon gré, le maîtriser ou le vaincre ? Insensée ! je connaissais bien peu l’amour ! Ah ! si je l’avais combattu avec plus de soin, peut-être eût-il pris moins d’empire ! peut-être alors ce départ n’eût pas été nécessaire, ou même, en me soumettant à ce parti douloureux, j’aurais pu ne pas rompre entièrement une liaison qu’il eût suffi de rendre moins fréquente ! Mais tout perdre à la fois ! et pour jamais ! Oh ! mon amie !... Mais quoi ! même en vous écrivant, je m’égare