Page:Choderlos de Laclos - Les Liaisons dangereuses, 1869, Tome 2.djvu/70

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plaintes ; mais l’amour maternel les devinerait ; & les larmes de votre fille, pour être dérobées, n’en couleraient pas moins sur votre cœur. Où seront alors vos consolations ? Les trouverez-vous dans ce fol amour, contre lequel vous auriez dû l’armer, & par qui au contraire vous vous serez laissé séduire ?

J’ignore, ma chère amie, si j’ai contre cette passion une prévention trop forte ; mais je la crois redoutable, même dans le mariage. Ce n’est pas que je désapprouve qu’un sentiment honnête & doux vienne embellir le lien conjugal & adoucir en quelque sorte les devoirs qu’il impose ; mais ce n’est pas à lui qu’il appartient de le former ; ce n’est pas à l’illusion d’un moment à régler le choix de toute notre vie. En effet, pour choisir il faut comparer ; & comment le pouvoir, quand un seul objet nous occupe ; quand celui-là même on ne peut le connaître, plongé que l’on est dans l’ivresse & l’aveuglement ?

J’ai rencontré, comme vous pouvez croire, plusieurs femmes atteintes de ce mal dangereux ; j’ai reçu les confidences de quelques-unes. A les entendre, il n’en est point dont l’amant ne soit un être parfait : mais ces perfections chimériques n’existent que dans leur imagination. Leur tête exaltée ne rêve qu’agréments & vertus ; elles en parent à plaisir celui qu’elles préfèrent ; c’est la draperie d’un dieu, portée souvent par un modèle abject ; mais, quel qu’il soit, à peine l’en ont-elle revêtu, que, dupes de leur propre ouvrage, elles se prosternent pour l’adorer.

Ou votre fille n’aime pas Danceny, ou elle