Page:Chodzko - Légendes slaves du moyen âge (1169–1237), 1858.djvu/25

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gré avec nous, j’ai reçu l’ordre de te charger de chaînes et de t’y conduire par force.

Le tzarévitch ayant entendu cette menace et voyant le vaïvode inébranlable dans sa fidélité à son souverain, fait rayonner sa figure des sentiments de joie qu’il éprouve. Il serre dans ses bras le vaïvode, en ami, et lui prodiguant des caresses et des baisers, il s’écrie : « Réjouis-toi, mon ami ! l’esprit et la raison de la jeunesse changent souvent. Dans leurs rêves creux, ils présument qu’ayant une fois posé le pied sur le premier degré de l’échelle de la vraie piété, ils ont déjà atteint le ciel. C’est ainsi que moi-même, je m’imaginais pouvoir tout d’emblée quitter les festins royaux et les douceurs de l’éducation princière, pour hanter le palais des cieux et y jouir de la paix des bienheureux. Maintenant, mieux avisé, je sais ce que c’est que la vie monacale ; de combien et de quels jeûnes n’a-t-elle pas besoin pour être parfaite ! J’hésitais entre le désir de revenir sur mes pas et la honte de ne pouvoir pas m’y résoudre ; eh bien, je te remercie plus encore que mon père, d’avoir pris la peine de me contraindre au retour et, par ce moyen, me délivrer de la honte de reparaître dans la maison paternelle ! » Tandis que ses lèvres proféraient ces paroles en présence du vaïvode, sa pensée se portait secrètement ailleurs. Soupirant vers Dieu qu’il invoquait, il le priait de lui venir en aide dans l’accomplissement de ses désirs : car il combine une œuvre de pieuse ruse, inspirée par la sagesse de son cœur ; et éclairé par les lumières du Saint-Esprit, il se propose de surpasser le vaïvode en adresse. À cet effet, il supplie l’égoumène (abbé du monastère) de leur faire préparer un festin somptueux, comme s’il voulait se réjouir avec le vaïvode et ses nobles, et ne les laisser retourner chez eux que le lendemain. Le jeune prince communique son projet à l’égoumène, et il le prie d’ordonner aux moines du monastère de commencer le soir même à chanter les matines.

Sur ces entrefaites, les dispositions nécessaires ayant été prises, les convives s’assoient à une table somptueuse, pourvue de tout ce que le faste avait de plus digne d’être offert à ces hauts dignitaires. Le jeune prince les sert de ses propres mains et, leur versant du vin, il égaie ses illustres hôtes par des