Page:Chodzko - Légendes slaves du moyen âge (1169–1237), 1858.djvu/31

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arbitraire, et réduire à néant votre hypocrisie ! » Les guerriers qui, debout autour de leur chef et les yeux fixés sur lui, n’attendaient que le signal pour agir, recueillent ces paroles du brave vaïvode. Ils s’enflamment de colère, tombent en fureur sur les moines, et recommencent à les frapper cruellement, cherchant leur jeune maître… Au bruit de l’émeute, qui grondait terrible comme un orage, et aux cris plaintifs des saints Pères, battus sans pitié, le tzarévitch, caché dans sa colonne, fut ému. Il entendit leurs gémissements qui retentissaient tristement au fond de sa retraite, et il craignit que l’ardeur de la vengeance, embrasant de plus en plus les guerriers avides de sang, n’aboutît au meurtre. Aussi se penche-t-il du haut de sa colonne et d’une voix courroucée apostrophe le vaïvode : « Me voici ! je suis celui que vous cherchez ; mais, toi, qui es soi-disant sage, n’agis-tu pas avec l’irréflexion d’un enfant ? À la tête d’une poignée d’hommes et dans un pays étranger, oses-tu tenir des propos hautains et insensés ? » S’adressant aux nobles il ajouta : « Vous ne craignez pas Dieu puisque vous ne respectez pas ses sacrés représentants ! Est-ce beau, est-ce glorieux de vous armer ainsi contre les élus du Seigneur, de maltraiter les moines inoffensifs et de les faire trembler ? Quel mal vous ont fait ces pauvres du Christ ? N’avez-vous pas honte de dégainer et de vous ruer sur eux ? Je reste ici, mais je n’ai pas le loisir de vous entretenir plus longtemps. Vous ne me verrez que demain. » Le vaïvode et sa suite, ayant entendu ces paroles de la bouche du tzarévitch, se sentirent découragés et honteux. Ils ne savaient que lui répondre : seulement, s’étant rapprochés de la colonne, ils l’entourèrent et gardèrent toute la nuit. Le lendemain, en plein jour, le vénérable Sabba, se penchant du haut de la galerie, appela le vaïvode et ses nobles compagnons et parut devant eux dans sa mise de moine. Le voyant dans cet état, frappés d’épouvante et comme privés de parole, ils tombent tous le visage contre terre, l’arrosant de larmes amères. Ils y demeurèrent longtemps plongés dans les perplexités et le désespoir, tandis que le prince-moine chantait l’hymne du Seigneur, en leur disant : « Ô mon âme, glorifie le Seigneur, qui m’a revêtu du vêtement de sa miséricorde ! » Les guerriers sanglotant relèvent enfin