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Page:Choisy - Journal du voyage de Siam, 1687.djvu/128

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Journal

réchal de Crequi. Voilà qui eſt beau. Mais à la fin j’ai perdu, & j’ai eu beſoin des Eſſais de Morale pour m’empêcher d’eſtre fâché. Par bonheur j’avois leu depuis peu le traité de l’Amour propre, & j’ai trouvé une belle occaſion de l’humilier. Il ne faut point rire ; & c’eſt de vous-même que je tiens cette maxime, importante, que de tous les jeux le plus dangereux, & qui porte le plus à la vanité, c’eſt le jeu des échets. On croit qu’il n’y a point de hazard, qu’il y faut de la vivacité & de la prudence. En vain… ſe préſente comme grand joûëur d’échets, & aſſez mal habile homme. On ſe flate toujours que qui peut avoir en même temps tant de veûës différentes, doit avoir un génie ſupérieur aux autres, & cependant cela n’eſt pas vrai. Je ne ſçai ſi je vous dois conter ce qui m’arriva il y a trois jours. J’eftois dans l’ardeur de cette grande partie d’échets : nous venions encore de remettre en cinq parties. Tout y eſtoit encore ; & les parieux eſtoient pour moi, parce que j’avois toujours eu l’avantage. Le ſoir, en faiſant mon petit examen de la journée, je tombai ſur les échets, & examinai bien ſérieuſement d’où venoit que j’avois ſi envie de gagner ; & aprés avoir bien retourné mon cœur, je trouvai que c’eſtoit pure vanité. Alors je demandai à Dieu la grace de me faire perdre, ſi cela pouvoit m’eſtre bon à m’humilier. Qu’arriva-t-il ? Nous jouaſmes le

lendemain,