Page:Chopin et Sand - Lettres, éd. Sydow, Colfs-Chainaye et Chainaye.djvu/81

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toujours beaucoup. J’attends pour lui avec impatience le retour du beau temps, qui ne peut tarder. Son piano est enfin arrivé à Palma ; mais il est dans les griffes de la Douane, qui demande cinq à six cents francs de droits d’entrée et qui se montre intraitable.

Ah ! comme Marliani connaissait peu l’Espagne quand il me disait que les douanes n’étaient rien ! Elles sont exécrables, au contraire. Pour connaître l’Espagne, il faudrait y aller tous les matins. Ce qu’on y voyait hier n’est pas ce qu’on y voit aujourd’hui, et Dieu sait ce qu’on y verra demain ! Je vous avoue que je ne me faisais pas une idée de cette désorganisation de l’esprit humain ; c’est un spectacle vraiment affligeant.

Heureusement, comme je vous le dis, chère, je n’ai pas le temps d’y penser : je suis plongée avec Maurice dans Thucydide et compagnie ; avec Solange, dans le régime indirect et l’accord du participe. Chopin joue d’un pauvre piano majorquin qui me rappelle celui de Bouffé dans Pauvre Jacques.[1] Ma nuit se passe, comme toujours, à gribouiller. Quand je lève le nez, c’est pour apercevoir, à travers la lucarne de ma cellule, la lune qui brille au milieu de la pluie sur les orangers, et je n’en pense pas plus long qu’elle.

Adieu, chère bonne, je suis heureuse quand même la pluie, quand même l’Espagne, quand même le travail, mais non pas quand même votre absence.

  1. « Pauvre Jacques » : Il s’agit ici de la « Comédie-Vaudeville » de MM. Cogniard frères, créée à Paris le 15 septembre 1835 sur la scène du Gymnase dramatique. Le célèbre acteur Marie Bouffé (1800-1886) y remporta un éclatant succès. Bouffé avait l’art de faire naître et le rire et les larmes. On lui doit d’intéressants Souvenirs (1880).