Page:Chopin et Sand - Lettres, éd. Sydow, Colfs-Chainaye et Chainaye.djvu/83

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

buissons et nous entrons dans le printemps. Notre hiver a duré six semaines, sans froid, mais pluvieux à nous épouvanter. C’est un déluge ! La pluie déracine les montagnes, toutes les eaux de la montagne se lancent dans la plaine ; les chemins deviennent des torrents. Nous nous y sommes trouvés pris, Maurice et moi. Nous avions été à Palma par un temps superbe. Quand nous sommes revenus le soir, plus de champs, plus de chemins, plus que des arbres pour indiquer à peu près où il fallait aller. J’ai été véritablement fort effrayée, d’autant plus que le cheval nous a refusé service, et qu’il nous a fallu passer la montagne à pied, la nuit, avec des torrents à travers les jambes,[1] Maurice est brave comme un César. Au milieu du chemin, faisant contre fortune bon cœur, nous nous sommes mis à dire des bêtises. Nous faisions semblant de pleurer, et nous disions : « J’veux m’en aller cheux nous, dans noute pays de la Châtre, l’oûs qu’y a pas de tout ça ! »

Nous sommes installés depuis un mois seulement et nous avons eu toutes les peines du monde. Le naturel du pays est le type de la méfiance, de l’inhospi-

  1. George Sand a conté de la sorte, dans l’Histoire de ma Vie, la fin de cet épisode tragique : « Nous nous hâtions en vue de l’inquiétude de notre malade, [on devine qu’il s’agit de Chopin]. Elle avait été vive en effet, mais elle s’était figée en une sorte de désespérance tranquille, et il jouait son admirable prélude en pleurant. En nous voyant entrer, il se leva en jetant un grand cri, puis il nous dit d’un air égaré et sur un ton étrange : « Ah ! je le savais bien, que vous étiez morts ! » Sa composition de cette nuit-là était bien pleine de gouttes de pluie qui résonnaient sur les tuiles de la Chartreuse, mais elles s’étaient traduites dans son imagination et dans son chant par des larmes tombant du ciel sur son cœur. Auquel des 24 préludes George Sand fait-elle allusion dans ces lignes ? Bien des musicologues se sont posé la question. D’après l’opinion la plus répandue, il s’agirait du 15ème. prélude (ré bémol majeur). Cette assertion est corroborée par un témoignage de Maurice Dudevant, rapporté par la fille de celui ci, Mme . Aurore Lauth-Sand.