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Il allait alors doucement franchir la porte, lorsqu’il entendit soudain dans la pièce voisine le bruit de quelqu’un qui s’éveille et quitte son lit… puis sur le plancher, un pas lourd, mal assuré, qui bientôt cessa.

— « Je vous croyais seule, » interrogea le docteur.

La jeune mère demeura sans réponse, le regard baissé, uniquement préoccupée en apparence de son enfant malade.

Le docteur lui-même se sentit pareillement mal à l’aise. Et ne voulant plus rien savoir, gêné d’avoir accidentellement pénétré quelque secret, il s’empressa de s’éloigner. Ce ne fut que dehors, devant le tableau qui se présentait à sa vue, qu’il se prit à reconstituer mentalement la scène. Il en lisait nettement les phases ; il la voyait toute dans cette voiture, aux strapontins disloqués, abandonnée au milieu de la cour ; dans ce harnais étendu auprès sur le sol, les longues guides enchevêtrées dans les herbes ; et, plus loin, dans ce vieux cheval tranquille broutant en liberté autour de l’abreuvoir et traînant encore au cou son licol de chanvre.

Mais dans son esprit le tableau se prolonge davantage : Il voit le mari ivre, rentré très tard dans la nuit, qui se glisse en trébuchant dans l’obscurité, qui se retient aux rebords des fenêtres, à la rampe de l’escalier, sa main tâtonnante crispée sur chacun des objets qu’il atteint ; il le voit pénétrer au logis, se jeter au hasard, sur un lit pour s’endormir finalement de ce sommeil assommé dont ni la toux déchi-