Page:Choquette - La Terre, 1916.djvu/168

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

XXIII


De ce côté-ci de l’équateur l’hiver approchait. L’hiver, c’est-à-dire la saison si dure, au Canada, pour les pauvres gens.

De tous les foyers que cette saison accable, nul néanmoins n’est plus lamentablement triste que celui de « l’habitant » que menace le manque de pain et de bois et où, dans les étables, le fourrage est en même temps rogné aux bestiaux.

Depuis deux jours, Lucas se tenait dans un état constant d’ivresse ; non dans cette ivresse d’autrefois qui laissait toujours subsister chez lui un peu de morgue altière, mais dans un état d’hébétude assombrie, découragée. On eût dit qu’il recourait cette fois au vertige de l’alcool, moins par passion pure que par peur de se replier sur lui-même et d’apercevoir la fatale pente où il roulait, roulait, entraînant avec lui les êtres de son foyer.

Un matin qu’il s’était levé plus lucide, il s’était hâté de « faire son train », puis, à travers les champs, il avait gagné chez son voisin Lusignan, sautant, pour abréger sa route, pardessus la clôture de ligne qui marquait les confins de leurs terres respectives.