Page:Choquette - La Terre, 1916.djvu/49

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Il perçut cependant à travers son égarement que quelqu’un lui saisissait les mains et cherchait à l’entraîner. C’était Yves, son frère, qui revenant de son travail, l’avait entendu vociférer. Aidé d’un camarade il avait réussi à le pousser dans une pièce voisine où il l’étendit avec soin sur un banc. Après l’avoir recommandé à l’aubergiste, il s’éloigna, sachant qu’une couple d’heures de sommeil et de calme le ramèneraient suffisamment à la raison.

Dans ces soûleries féroces, lorsque Lucas ne trouvait point l’occasion de provoquer quelque bagarre d’enfer, il finissait toujours par s’écrouler ainsi comme une masse et par s’endormir dans la dernière attitude où il était tombé. Insensible alors à tout, l’œil atone et entr’ouvert, il demeurait inerte, étourdi par l’alcool comme un opéré par le chloroforme.

C’était pour ne point le voir dans ce répugnant état que Yves s’était si promptement dérobé. Non que ce spectacle blessât au fond son propre orgueil, mais plutôt pour ménager la fierté de son frère.

…Lucas demeura longtemps comme sans vie, le poumon seul attelé à remuer légèrement la charpente. Finalement il se fit un éclair dans son esprit, et il appela l’aubergiste pour s’informer de son cheval… de l’heure qu’il était…

Quoique tout tourbillonnât autour de lui, il put à l’instant se rendre compte qu’il avait encore une fois dissipé le produit de toute une charge de grains et qu’il ne lui restait plus rien en poche, rien… Il comprenait peu à peu ce qui avait dû se passer.