étoit en liberté, & n’avoit rien à craindre d’aucun
côté. Elle avoit un petit page de quatorze
ans, qui s’appelloit Joconde ; il étoit beau
comme un ange, & avoit l’eſprit auſſi joli que
le corps ; il chantoit agréablement, & danſoit
avec une adreſſe merveilleuſe. Sempronie, qui
préſidoit à tous nos jeux, dit qu’il falloit qu’il
fût de la partie ; nous y conſentîmes avec joie,
parce qu’il étoit fort aimable : elle le fit donc
venir, après avoir pris ſes précautions contre
toute ſurpriſe. D’abord qu’il fut entré, il
chanta & danſa avec un agrément particulier ;
mais le jeu n’en demeura guere-là. Sempronie
avoit bien une autre intention ; c’eſt pourquoi
elle l’interrompoit à chaque pas qu’il faiſoit,
elle le pouſſoit au milieu d’une danſe, & l’excitoit
par mille attaques à un autre divertiſſement.
O la belle fille, nous diſoit-elle en
le montrant ; qu’elle eſt jolie ! qu’elle eſt aimable !
regardez, mes compagnes, comme elle eſt
ſage, comme elle eſt modeſte ? je vous jure,
continuoit-elle, que ce n’eſt pas un homme,
mais plutôt une jeune vierge, qui déshonore notre
ſexe en ſe couvrant d’un habit de garçon.
Joconde ſe défendit d’abord par des reparties
aſſez ſpirituelles ; mais Sempronie lui en dit
tant, qu’elle le pouſſa à bout : il rougit ſelon
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