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ÉTIENNE DOLET

peut-être, mais avec une vigueur, une fécondité, une bonté d’âme, une compassion et une sympathie pour les souffrances et les malheurs de l’humanité, pour les faibles contre les forts, avec une jovialité et surtout une finesse de satire sans amertume qu’on ne connaissait pas encore et que jamais l’on a connue depuis.

C’est dans Rabelais que le génie de la Renaissance apparaît dans son plus complet développement et lui seul suffit pour montrer l’ineptie de l’opinion si souvent formulée qui tend à faire croire que la Renaissance n’a enfanté que le néant. La Renaissance n’a pas été simplement le retour aux formes littéraires de l’antiquité, ce fut un retour à la substance même des idées d’autrefois, un retour à la liberté de penser que les théologiens du moyen âge avaient interdite et que les réformateurs aussi bien que les partisans de Rome s’entendaient pour taxer d’hérésie.

« Gens libres, bien nés, bien instruits, conversant en compagnies honnêtes, ont par nature un instinct et aiguillon qui toujours les pouss a faits vertueux et les retire du vice ; lequel ils nomment l’honneur[1].

Il y a une certaine façon d’écrire les biographies qui consiste à se fonder en grande partie sur des faits imaginaires ; et il est peu de tentation aussi forte pour celui qui s’occupe d’un homme qui, comme Rabelais, a exercé une si grande influence sur toutes les générations des Français, que de se demander jusqu’à quel point il a pu être lui-même influencé dans son œuvre par ses contemporains et amis, et de déduire d’une supposition non seulement la certitude de cette influence, mais encore d’imaginer en détail les circonstances qui l’accompagnent. Il est indubitable que Rabelais et Dolet furent très

  1. Garg., C. LVII. Henri Martin (Hist. de France, liv. 48) fait la remarque suivante sur ce passage : « Ce n’est pas seulement l’antipode du monachisme ; c’est au moins autant l’antipode du protestantisme, qui part de la corruption totale de la nature et de l’entière impuissance de l’homme pour le bien : c’est l’extrême contraire… L’évangile de Rabelais n’est que celui de la charité et non de la grâce et de la rédemption. »