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CHAPITRE I.

Rémy et mari de la pieuse Scariberge, nièce de Clovis, ayant quitté sa femme pour entrer dans les ordres, et ayant été un instant évêque de Tours, fut tué à Reims. Son corps fut transporté sur un chariot et accompagné par Scariberge, pour être enterré à Tours. Le cortége passant par un endroit dit Yveline, le comte Dordingus, grand seigneur dans la province, poussait alors vivement un cerf qui se retira sous le chariot comme dans un asile. Dordingus, instruit des mérites du saint, passe la nuit en prières, et veut accompagner le corps jusqu’à Tours. Mais on ne peut faire avancer le chariot miraculeusement arrêté, et le comte donne à Scariberge le lieu où il chassait pour y bâtir une église. Le village d’Yveline prit le nom de Saint-Arnoul et existe encore à deux lieues de Dourdan, et Scariberge fonda le monastère voisin de Saint-Rémy des Landes. « Il est aisé de juger, dit sans embarras le facile annaliste de ce monastère, le P. Jean-Marie Cernot, qui rapporte cette histoire d’après un ancien registre de l’abbaye dont les lettres sont gothiques, que le comte Dordingus estoit un grand seigneur de la contrée, et qu’il avoit pour titre de sa famille celuy de sa principale seigneurie, scavoir, de Dourdan, qui est un de nos anciens comtez de France et l’un des plus remarquables endroits voisins de la petite ville de Saint-Arnoul. Il y a aussi bien de l’apparence que Dordingus estendoit son domaine aux environs, et qu’il avoit droit de chasse dans la forêt où les merveilles que nous avons décrites sont arrivées[1]. »

Que conclure de tout cela ? L’identité des deux personnages est chose probable, et la double tradition n’aurait sans doute fait que consacrer le souvenir d’un ancien seigneur important de la contrée. Qu’il habite le palais gallo-romain de Sainte-Mesme, la chose est possible ; qu’il en soit le fondateur, rien ne le prouve. Qu’il soit païen, que plus tard il se convertisse et fonde une église, et que tout cele se passe au vie siècle, il n’y a rien là d’étonnant ; on sait qu’au vie et même au viie siècle le paganisme n’était pas encore totalement détruit dans les campagnes reculées et les vieilles forêts des Carnutes ; des documents incontestables en font foi. Qu’une portion de la forêtd’Yveline soit la propriété d’un seigneur de cette époque, l’histoire, fort obscure d’ailleurs à ce sujet, ne le contredit pas. La forêt d’Yveline, mentionnée par Grégoire de Tours[2], avait été d’abord donnée par Clovis à l’église de Reims ; elle rentra plus tard dans le domaine royal. Pépin s’en dessaisit de nouveau pour en faire donation à l’église de Saint-Denis (798)[3] ; mais déjà des écarts de cette immense forêt avaient été aliénés par les rois ses prédécesseurs, en faveur de quelques-uns de leurs barons[4].

  1. Vie de saint Arnoul et de sainte Scariberge, son épouse, etc., par le P. I. M. Paris, 1676, in-32. – Cf. D. Bouquet, in Greg. Turon., II, 387.
  2. Hist. eccles. Franc., lib. X.
  3. Doublet, Hist. abb. S. Dionysii, p. 699 ; Bouquet, V, 707.
  4. Malte-Brun, Hist. de Marcoussis. Paris, 1867, p. 3.