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CHAPITRE XXII.

lier, le donjon, avec ses deux étages et son faux plancher, offrait trois pièces superposées. Puissants barreaux de fer aux moindres ouvertures, épaisses et doubles portes de chêne avec guichets et formidables verrous, toutes les sûretés furent prises. L’escalier qui de la salle haute conduit à la plate-forme, le puits, construit avec la tour dans l’épaisseur du mur, furent soigneusement bouchés et murés. Le grand corps de cheminée qui règne du haut en bas, d’abord intercepté par deux gros barreaux, parut une communication dangereuse entre les divers étages et finit par être condamné. La terrible casemate munie d’un escalier de grès fut elle-même convertie en obscur cachot[1].

Voilà l’imposante et solide prison qu’avait en perspective le malfaiteur qui tombait sous la juridiction de Monsieur le lieutenant criminel au bailliage de Dourdan. L’auditoire royal où se prononçait la sentence avait été transporté dans le château même ; le trajet n’était pas long. Nous n’entretiendrons pas le lecteur d’une foule de pauvres diables qui firent connaissance avec le donjon de Dourdan, mais nous croirions omettre une page curieuse d’histoire locale, si nous ne rapportions pas, avec quelques détails, deux ou trois drames judiciaires qui eurent là leur dénouement et ont laissé dans le souvenir de la population des traces déjà légendaires : causes vraiment célèbres dans la contrée, qui surexcitèrent au dernier point l’intérêt de nos pères et dont les pièces originales ont été presque toutes entre nos mains.

Les sorciers de Dourdan[2]. — Vers 1740, il courait par la Beauce d’étranges bruits. Dans les marchés, dans les cabarets, on se répétait à l’oreille qu’il y avait à Dourdan des sorciers qui étaient en communication avec le diable et avaient le secret de lui faire donner ou découvrir des trésors.

Plus d’un paysan hochait la tête d’un air incrédule, mais rentrait chez lui fort préoccupé, et sans en rien dire à ses voisins, se décidait à faire le voyage de Dourdan, pour consulter Monsieur Jean-Baptiste Potin et ses deux ou trois acolytes. Ce n’était pas chose aisée d’obtenir de ces puissants personnages qu’ils se déterminassent à faire une évocation ou appel, et une femme de Chartres leur avait vainement offert 2,500 livres pour venir chez elle. Le rendez-vous était souvent fort loin : un nommé Henri Moutier, de Saint-Arnoult, avait dû aller jusque dans le parc de Versailles, conduisant sa charrette attelée de cinq chevaux et chargée de six poinçons vides destinés à rapporter le trésor. En général les appels se faisaient aux environs de Dourdan, à minuit, dans quelque lieu écarté. C’était dans un champ de fèves, derrière la chapelle Saint-

  1. Voir le devis d’adjudication au rabais de réparations à faire aux prisons de Dourdan, 22 octobre 1710. — Archives de l’Empire. O. 20436.
  2. D’après la correspondance manuscrite de la Subdélégation de Dourdan avec l’Intendance d’Orléans et de l’Intendance avec le Ministère.