Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 8, 1865.djvu/460

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de grâces, vous avez mérité une infinité de récompenses, de même que ce malheureux s’est préparé un feu immense et éternel.
Mais si quelqu’un dit : Où est mon mérite ? Je n’ai pu me venger par faiblesse et par impuissance, je lui répondrai : Vous auriez pu vous fâcher, vous mettre en colère : il est en notre pouvoir de maudire celui qui nous a offensé, celui qui nous a fait du mal ; il est en notre pouvoir de lancer mille imprécations contre lui, d’en parler mal, et de le perdre de réputation. Vous n’en avez rien fait, vous avez su vous posséder, vous aurez la récompense que mérite celui qui ne s’est point vengé : car il est constant que, eussiez-vous pu le faire, vous ne l’auriez point fait. Un homme qui se sent offensé, se fait des armes de tout ce qui se présente ; s’il ne souffre pas patiemment l’injure qu’on lui a faite, il s’en venge par des malédictions, par des paroles injurieuses et outrageantes, par des embûches. Si donc vous ne vous abstenez pas seulement de toutes ces choses, mais encore si vous priez Dieu pour celui qui vous a offensé, par cette conduite vous devenez semblable à Dieu, qui vous dit : « Priez pour ceux qui vous persécutent, afin que vous soyez semblables à votre Père qui est dans les cieux ». (Mt. 5,44-45)
Ne voyez-vous pas, mes frères, quel gain, quel profit nous retirons des injures ? Rien ne plaît tant à Dieu que de ne point rendre le mal pour le mal, que dis-je, le mal pour le mal[1]? Il nous est ordonné de faire tout le contraire, d’obliger ceux qui nous offensent, de prier pour eux. Voilà pourquoi Jésus-Christ comblait de bienfaits celui qui le devait trahir, il lui lavait les pieds, il lui faisait des reproches en secret, il le réprimandait avec modération et avec douceur, il l’honorait de ses services, de sa table, de son baiser. Et néanmoins Judas n’en est pas devenu meilleur ; Jésus-Christ n’a pourtant pas cessé de faire ce qui était en lui. Mais, je le vois, mes frères : vous présenter l’exemple du Maître, c’est vous proposer un trop grand modèle : passons à l’exemple des serviteurs, tirons-en notre instruction ; et ce qui aura plus de force, servons-nous ici de l’Ancien Testament, de telle sorte que vous voyiez bien que la rancune est un crime sans excuse. Voulez-vous que je vous propose Moïse pour modèle, ou que je remonte encore plus haut ? Plus les exemples sont anciens, et plus ils nous accablent. Pourquoi ? Parce qu’alors il était plus difficile de pratiquer la vertu. Les hommes alors n’avaient point de lois écrites, ils n’avaient pas les exemples des anciens, mais la nature humaine, nue et sans armes, combattait par elle-même, par ses propres forces ; elle était obligée de naviguer sans lest sur la vaste mer de ce monde. Voilà pourquoi l’Écriture, faisant l’éloge de Noé, ne dit pas simple ment qu’il était parfait, mais elle ajoute : « Au a milieu des hommes qui vivaient alors ». (Gen. 6,9) Par là, elle fait voir que c’était dans un temps où il y avait bien des obstacles à surmonter ; d’autres, dans la suite, se sont signalés ; Noé pourtant sera honoré à l’égal des plus grands, vu le temps où il était parfait.
Qui donc avant Moïse a été doux et patient ? Le bienheureux Joseph, ce brave et généreux athlète, qui ayant brillé par sa chasteté, ne se signala pas moins par sa patience. Joseph fut vendu par ses frères, à qui il n’avait fait aucun mal ; ou plutôt il avait été pour eux le serviteur le plus empressé, et ils l’outragèrent par un blâme injurieux ; mais Joseph ne se vengea point, quoiqu’il eût toute l’affection de son père : et il fut leur porter du pain dans le désert ; ne les trouvant pas, il ne s’impatienta point, il ne s’en retourna pas. S’il eût voulu se venger, l’occasion était belle : mais au con traire, il eut toujours un cœur de frère pour ces bêtes féroces, pour ces âmes barbares et inhumaines. Puis, jeté dans une prison, lorsqu’on lui en demanda le sujet, il ne dit aucun mal de ses frères, mais seulement : je n’ai rien fait ; et « j’ai été enlevé par fraude de la terre des Hébreux ». (Gen. 40,15) Et dans la suite, aussitôt qu’il fut élevé en dignité et en puissance, il leur donna du pain, les tira de leur misère, les arracha à une infinité de maux : car si nous veillons, si nous sommes attentifs sur nous-mêmes, la méchanceté du prochain n’est point capable de nous détourner de la vertu. Mais ses frères en avaient usé à son égard d’une manière bien différente : ils l’avaient dépouillé de sa robe, ils avaient voulu le faire mourir, et ils lui avaient reproché le songe qu’il leur avait raconté ; et encore qu’il leur eût apporté de quoi manger, ils cherchaient à lui ôter la vie ou la liberté. (Gen. 37) Ils mangeaient et laissaient mourir de faim leur frère, qu’ils avaient dépouillé et jeté dans une

  1. Ne vous laissez point vaincre par le mal, dit l’Apôtre, mais travailla à vaincre le mal par le bien. (Rom. 41,21)