Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 11, 1867.djvu/112

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franchement unis que des frères, que des fils et des pères entre eux ! Souvent un fils laisse son père sans secours, et le secours vient d’un inconnu. Mais l’amitié spirituelle, c’est la suprême amitié. C’est une reine qui étend son empire sur les siens, une reine brillante. Il n’en est pas de cette amitié comme de l’autre. Ce n’est pas un intérêt terrestre, ce n’est ni l’habitude, ni le bienfait, ni la nature, ni l’or qui l’engendre ; c’est d’en haut ; c’est du ciel qu’elle descend. Quoi d’étonnant, si elle n’a pas besoin du bienfait pour subsister, puisque les mauvais traitements eux-mêmes ne peuvent compromettre son existence ?

Voulez-vous savoir combien cette amitié l’emporte sur l’autre ? Écoutez Paul qui vous dit : « Pour mes frères, je voudrais être une victime soumise à l’anathème par le Christ ». (Rom. 9,10) Quel père voudrait s’exposer à un tel malheur pour son fils ? Écoutez encore cette parole : « Ce qu’il y aurait sans contredit de plus heureux pour moi, ce serait d’être dégagé des liens du corps, pour me réunir au Christ ; mais il est plus utile pour vous que je demeure encore en cette vie ». (Phi. 1,23-24) Quelle mère sacrifierait ainsi ses intérêts ? Écoutez encore l’apôtre : « Nous avons été », dit-il, « pour un peu de temps, séparés de vous de corps, mais non pas de cœur ». (1Th. 2,17) Un père outragé ôte à son fils sa tendresse ; mais le chrétien n’agit pas ainsi ; il va trouver ceux qui l’ont lapidé, pour les combler de bienfaits. Car il n’y a rien, non, il n’y a rien d’aussi fort que le lien spirituel. Celui qui vous est attaché par le bienfait, sera votre ennemi, quand vous cesserez de lui faire du bien. Celui que l’habitude enchaînait à vous, ne sera plus votre ami, quand la chaîne de l’habitude viendra à se rompre. La discorde et les querelles entrent-elles dans le ménage ? Voilà la femme qui laisse là son mari et qui ne l’aime plus. Le fils lui-même ne voit pas sans impatience que la vie de son père se prolonge. Mais, dans l’attachement spirituel, rien de semblable. Il n’a pas les mêmes chances de se rompre, parce qu’il ne repose pas sur les mêmes bases. Ni le temps, ni la longévité, ni les mauvais traitements, ni les médisances, ni le ressentiment, ni les outrages, rien en un mot ne peut l’attaquer ni le dissoudre. Voulez-vous en être convaincus ? Voyez Moïse priant pour ceux qui le lapident. (Exo. 17) Quel père en aurait fait autant pour le fils qui l’aurait lapidé ? Ne l’aurait-il pas, au contraire, accablé à son tour d’une grêle de pierres ? Appliquons-nous donc à serrer les nœuds de cette amitié spirituelle forte et indissoluble, et non les nœuds de cette amitié qui prend naissance au milieu des festins ; car, pour cet attachement vulgaire, il nous est interdit.

Écoutez cette parole évangélique du Christ : « Quand vous donnez un festin, n’invitez ni vos voisins ni vos amis ; invitez les pauvres et les estropiés ». (Luc. 14,12-13) Elle est bien vraie cette parole : elle nous promet, si nous la suivons, une grande récompense. – Mais vous ne vous sentez ni la force ni le courage de faire asseoir à votre table des boiteux et des aveugles. C’est peut-être pour vous une corvée que vous refusez nettement. Vous devriez pourtant ne pas vous y dérober ; mais enfin elle n’est pas nécessaire. Ne les faites point asseoir à votre table, soit ; mais envoyez-leur des mets de votre table. Quand on invite ses amis, on ne fait rien là de bien méritoire, et l’on reçoit ici-bas sa récompense. Mais quand on invite un pauvre et un estropié, c’est Dieu même que l’on a pour débiteur. Affligeons-nous, non de ne pas recevoir ici-bas notre récompense, mais de la recevoir sur cette terre ; car, si nous sommes payés sur cette terre, nous ne serons pas payés là-haut. Si les hommes nous paient, Dieu ne nous paiera pas ; si les hommes ne nous paient pas, c’est Dieu, qui nous paiera. Ne cherchez donc pas à faire du bien à ceux qui peuvent nous le rendre ; que nos bienfaits ne soient pas intéressés ; car ce serait là un froid calcul. Si vous invitez un ami, il vous en est reconnaissant jusqu’au soir, et cette amitié éphémère se fond avant l’argent du festin. Mais invitez un pauvre et un estropié, vous vous acquérez des droits à une reconnaissance éternelle, car c’est Dieu qui se souvient toujours, c’est Dieu qui n’oublie jamais qui devient votre débiteur. Quelle est, je vous le demande, cette petitesse, quelle est cette faiblesse de ne pouvoir s’asseoir, avec les pauvres, à la table du festin ? C’est, dites-vous, un convive malpropre et dégoûtant. Mettez-le dans un bain avant de le conduire à table. Mais il a des vêtements grossiers. Faites-lui-en changer et habillez-le proprement.

4. Ne voyez-vous pas ce que ce festin peut vous rapporter ? C’est le Christ en personne