Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 11, 1867.djvu/18

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dures critiques et accusations, plaintes, reproches, jalousies. N’est-ce rien, dites-moi, que de s’exposer à mille contradictions, lorsqu’après tout on aurait le droit absolu de ne penser qu’à soi et à ses intérêts personnels ?

Hélas ! où en suis-je ? Enfermé dans une alternative redoutable, j’hésite, je ne sais que résoudre. D’un côté, je désire vous exhorter, vous déterminer à prendre soin des saints de Dieu et à les aider de tous vos efforts reconnaissants ; de l’autre, je crains que mon langage ne semble pas dicté par l’intérêt que je vous porte, mais plutôt par celui de mes clients…

Hé bien ! sachez que c’est pour vous et non pour eux que je plaide en ce moment, et si vous daignez m’écouter, les raisons que j’apporte vous auront bientôt convaincus. – Les avantages de l’aumône sont beaucoup plus grands pour vous que pour eux ; si vous faites l’aumône, vous ne donnez, après tout, que de ces richesses dont bientôt, bon gré mal gré, vous devez subir la privation, le dépouillement. Ce que vous recevez, au contraire, est d’un prix immense, j’ose dire même, hors de comparaison. Quand vous donnez, n’avez-vous pas la confiance de recevoir ? Si tel n’est pas votre sentiment, ne donnez pas, je vous le dis, tant je suis loin de parler pour les pauvres. Non, si quelqu’un ici n’est pas tout d’abord convaincu qu’en donnant, il recevra : davantage et fera un gain magnifique, qu’il sera bien plus l’obligé que le bienfaiteur, alors qu’il ne donne pas ! Sa conviction est-elle qu’il dépense sans recevoir, qu’il s’abstienne ! Pour ma part, ma grande inquiétude dans ce moment n’est pas de trouver la nourriture des saints : si vous ne donnez pas, un autre donnera. Mon seul désir, le voici : puissiez-vous avoir un doux remède contre vos péchés ! En ne donnant pas avec ces dispositions, vous n’avez pas de remède à attendre. L’aumône, en effet, ce n’est pas le don, c’est l’empressement et la joie à donner, c’est la reconnaissance envers celui qui reçoit. Paul l’a prononcé : « Rien par force, rien avec regret : « Dieu aime qu’on donne avec joie ». Pour ne pas donner ainsi, conservez plutôt : ce serait une perte et non pas une aumône.

Si donc vous êtes persuadés que vous gagnez et non pas vos obligés, ne soyez pas moins convaincus que le profit pour vous est incomparable. Leur corps sera nourri : votre âme deviendra belle et splendide. En acceptant, leurs péchés ne sont pas effacés ; vous retranchez de vos comptes de nombreuses offenses. Ainsi, prenons part à leurs travaux, à leurs combats, afin de partager un jour leur couronne. On a vu des particuliers adopter des rois et des empereurs, avec l’idée qu’ainsi ils recevaient autant qu’ils donnaient[1]. Adoptez, vous, Notre-Seigneur Jésus-Christ : vous placez ainsi votre fortune en toute sûreté. Voulez-vous être aussi les coassociés de saint Paul ?… Mais que parlé-je de Paul, quand au fond c’est Jésus-Christ lui-même qui reçoit.

5. Mais je veux vous convaincre encore que votre seul intérêt m’ouvre la bouche, que j’agis pour vous et non pour les autres. Ainsi, parmi les prélats de l’Église, en est-il qui vive dans l’aisance, hors de tout besoin, fût-il d’ailleurs un saint, ne lui donnez rien : préférez-lui cet autre ministre de Dieu, moins admirable peut-être, mais qui n’a point le nécessaire. Pourquoi ? Ah ! c’est qu’ainsi le veut Notre-Seigneur lui-même, quand il dit : « Quand vous donnez un repas, un banquet, n’invitez pas vos amis ni vos parents, mais plutôt les infirmes, les boiteux, les aveugles, ceux enfin qui ne pourront vous rendre la pareille ». (Luc. 14,12-13) Ainsi les invitations ne doivent pas se faire au hasard : préférez les gens affamés, altérés, nus ; les étrangers, les riches tombés dans la misère. Car le Seigneur n’a pas dit simplement : Vous m’avez nourri ; il ajoute : Vous avez nourri ma faim : « J’avais faim », dit-il, « vous m’avez vu, et vous m’avez donné à manger ». (Mat. 25,35) Telle est sa maxime en son entier. Or s’il faut nourrir celui qui a faim, par cela seul qu’il a faim, à plus forte raison, si le nécessiteux est un saint. S’il est saint, mais sans nécessité, ne donnez pas ; vous n’y trouveriez aucun bénéfice pour vous, puisque le commandement de Jésus n’est pas pour lui ; je dirai mieux, recevant sans avoir besoin, il n’est plus un saint. Reconnaissez-vous que mon langage s’inspire ici non pas d’un vil motif d’intérêt, mais uniquement de votre propre avantage ?

Nourrissez donc l’affamé pour ne pas nourrir

  1. Rien n’était plus commun, sous les empereurs romains, que ces adoptions étranges du souverain par les particuliers ; ceux-ci les faisaient héritiers de leurs biens, pour sauver à la fois et leurs fortunes et leurs vies, objets des convoitises impériales.