Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 11, 1867.djvu/333

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depuis la création du monde. Car j’ai a eu faim, et vous m’avez donné à manger ; j’ai eu soif, et vous m’avez donné à boire ». (Mt. 25,34, 35) Les vivants ne sont pas distingués des morts seulement par la vue du soleil et des cieux ; non, dis-je, ce n’est point ainsi qu’ils diffèrent, mais par la pratique du bien, et s’ils ne le pratiquent pas, ils ne vaudront pas mieux que des morts.
Et, pour vous en instruire, écoutez comment on peut vivre, bien qu’on soit mort. « Dieu », dit l’Évangile, « n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants ». (Mt. 22,32) Mais, dira-t-on, c’est une autre énigme. Eh bien ! éclaircissons-les toutes deux. Celui-là est mort quoique vivant, qui vit dans les délices. Et comment ? c’est qu’il ne vit que par son ventre et non par ses autres sens ; ainsi il ne voit pas ce qu’il doit voir, n’entend pas ce qu’il doit entendre, ne dit pas ce qu’il doit dire, ce que doivent voir, entendre et dire les vivants ; mais, tel qu’un homme qui, étendu sur son lit, ferme les yeux, et rapprochant ses paupières ne s’aperçoit plus de rien de ce qui se passe, tel est cet homme, ou plu tôt il est dans un état bien pire. Car le premier est également insensible à ce qui est bon et à ce qui est mauvais ; l’autre n’est sensible qu’au mal, et quant au bien il n’en éprouve pas plus l’impression qu’un cadavre. Rien ne l’émeut des choses de la vie future ; en cela donc il est mort ; sa passion le saisit dans ses bras et l’entraîne comme dans une sombre retraite, dans un lieu obscur, dans un antre impur, et le fait demeurer dans les ténèbres, comme les morts dans leur sépulcre. En effet, quand il passe tout son temps à table ou dans l’ivresse, n’est-il pas dans les ténèbres ? n’est-il pas mort ? Le matin même où il paraît à jeun, il ne l’est pas franchement ; il n’a pas cuvé tout son vin de la soirée, il est en proie au violent désir de la débauche qui va commencer, lui qui passe et la soirée et le milieu du jour dans les festins, toute la nuit et la meilleure partie de la matinée dans un sommeil pesant. Dites-moi, devons-nous compter cet homme au nombre des vivants ? Et que dire des tempêtes produites dans l’âme par la volupté, tempêtes qui se répandent jusque dans le corps ? De même qu’un amas continu de nuages ne laisse plus passer un rayon de soleil, de même les vapeurs de la volupté et du vin, occupent le cerveau comme un point culminant, y condensent un épais nuage, ne permettent plus à la raison de se manifester et retiennent dans une nuit profonde celui qui est dans cet état. Et encore quelle tempête au-dedans !
De même que, quand une inondation se produit et que l’eau franchit le seuil des ateliers, nous voyons ceux qui les habitent s’empresser, pleins de trouble, de saisir des plats, des amphores, des éponges et d’autres objets pour épuiser l’eau et l’empêcher de ruiner les fondements de la maison, de mettre hors d’usage tout ce qu’elle renferme ; de même, lorsque la volupté s’est glissée de toutes parts dans une âme, les facultés intellectuelles sont troublées et ne peuvent suffire à la débarrasser de ce qui l’a envahie, parce que l’invasion se renouvelle sans cesse, et que la tempête est terrible. Ne considérez pas le visage qui est riant et illuminé, mais fouillez au dedans et vous verrez un homme plein d’une tristesse qui l’abat. S’il était possible de faire sortir l’âme du corps et de l’exposer sous nos yeux, vous verriez celle du voluptueux, morne, triste, endolorie, exténuée. Plus le corps s’engraisse et s’épaissit, plus l’âme s’exténue, s’affaiblit et s’ensevelit. Et de même que, devant la prunelle de l’œil, si la cornée s’épaissit, elle ne peut plus laisser passer le rayon visuel, le sens de la vue s’altère et la cécité se produit souvent, de même quand le corps est engraissé, il doit obstruer les abords de l’âme. Mais les morts se gâtent et se corrompent, le sang corrompu s’en échappe ; de même on voit chez les hommes livrés à la vie sensuelle, le rhume, l’inflammation, la pituite, les hoquets, les vomissements, les éructations ; je passe le reste, que j’aurais honte d’énoncer. Car telle est cette tyrannie, qu’elle leur fait faire ce qu’on n’ose pas exprimer.
4. Leur corps aussi laisse échapper la corruption de toutes parts. – Mais ils mangent et boivent ? Est-ce donc là le témoignage de la vie humaine, puisque les bêtes aussi mangent et boivent ? Quand l’âme est morte, quel besoin est-il d’aliments et de boisson ? Quand un corps est devenu cadavre, le vêtement parfumé qui l’enveloppe ne lui sert de rien, et quand une âme est morte, un corps parfumé ne lui sert pas davantage. Si sa pensée ne se préoccupe que de cuisiniers, de maîtres d’hôtel, de boulangers, si elle ne prononce pas une parole de piété, n’est-elle pas morte ? Qu’est-ce en effet que l’homme ? Les philosophes