Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 11, 1867.djvu/350

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

leurs besoins ; en sorte que les maîtres sont plutôt les serviteurs de leurs esclaves, et c’est ce qu’il veut faire entendre, quand il dit « Parce qu’ils sont fidèles et aimés de Dieu, participant au même bienfait ». Ils se fatiguent et prennent de la peine pour votre repos ; ne doivent-ils pas être grandement honorés de leurs serviteurs ?
Mais, s’il a prescrit aux esclaves d’être ainsi obéissants, songez comment nous devons nous conduire envers notre Maître, qui nous a fait passer du néant à l’être, qui nous donne la nourriture et le vêtement. Servons-le au moins comme nos domestiques nous servent. N’y emploient-ils pas leur vie tout entière, pour que leurs maîtres vivent en repos ? Leur occupation, leur vie, c’est de prendre soin des intérêts de leurs maîtres. Ne s’en préoccupent-ils pas toute la journée, n’ayant souvent à disposer pour eux-mêmes que d’une petite partie de la soirée ? Nous, tout au contraire, nous nous préoccupons sans cesse de nos intérêts ; ceux de notre maître ne nous prennent pas la moindre partie du jour ; et pourtant il ne nous demande pas ce qui est à nous, comme le font les maîtres à l’égard de leurs esclaves ; mais ce que nous faisons pour lui tourne à notre propre avantage. Là, en effet, le travail du serviteur était profitable au maître ; ici le service de l’esclave ne profite point au maître, mais au serviteur seul. « Vous n’avez pas besoin de mes biens », dit le Psalmiste. (Ps. 15,2) Car, dites-moi, quel profit revient-il à Dieu que je sois juste ? Que perd-il si je suis injuste ? Son essence n’est-elle pas inaltérable et impassible ? N’est-elle pas au-dessus de la souffrance ? Les esclaves n’ont rien à eux ; tout est à leur maître, quelque riches qu’ils deviennent, et nous avons bien des choses en propre. Et cet honneur n’est pas tout ce que nous recevons du Roi de l’univers. Quel maître a donné son propre fils pour son serviteur ? Aucun ; tous donneraient plutôt leurs serviteurs pour leurs enfants. Ici c’est tout le contraire. Dieu n’a pas épargné son propre Fils, mais l’a livré pour nous tous, pour tous ses ennemis, pour ceux qui le haïssent. Les esclaves, quand on leur donnerait des ordres pénibles, ne se fâchent point, mais se montrent plein de reconnaissance ; et nous, nous regimbons en mille occasions. Un maître ne promet point à ses serviteurs de récompenses telles que Dieu nous en promet. Que promet-il, le maître ? La liberté qui est souvent plu difficile à supporter que la servitude. Souvent sous la pression de la faim, on la trouve plu amère, quelque grand qu’en soit le don. Au près de Dieu, rien de précaire, rien de corruptible ; mais que nous promet-il ? « Je ne vous appellerai plus serviteurs, vous êtes mes amis ». (Jn. 15,15)
Rougissons et craignons, mes bien-aimés nous devrions servir notre maître au moins comme nos domestiques nous servent ; mai la plupart du temps nous ne lui témoignons point notre service. Ceux-là sont philosophe malgré eux ; ils n’ont que le vêtement et la nourriture ; tandis que nous insultons à Dieu par notre mollesse. Si nous n’en recevons pas d’ailleurs, recevons d’eux des leçons de sagesse. L’Écriture renvoie bien les hommes à l’école, non des esclaves, mais des animaux sans raison, quand elle nous commande d’imiter les abeilles ou les fourmis. Pour moi, je vous exhorte à imiter vos serviteurs : faisons au moins par crainte de Dieu tout ce qu’ils font par crainte de leurs maîtres ; car je ne vois pas que vous le fassiez. Bien souvent par crainte ils se laissent insulter et demeurent plus silencieux que n’importe quel philosophe ; on les insulte à tort ou à raison, et ils ne répliquent pas ; mais ils demandent pardon, souvent sans avoir fait de mal. Ils ne reçoivent que le nécessaire, souvent moins que le nécessaire, et ils prennent patience ; ils dorment sur une natte de jonc, ils ne se nourrissent que de pain, toute leur existence est pauvre, et ils ne réclament point, ils ne se fâchent point, parce qu’ils nous craignent. Quand on leur confie de l’argent, ils le rendent tout entier : ne me parlez pas de ceux qui sont pervers, mais ceux qui ne sont pas trop mauvais cèdent à la première menace. N’est-ce pas là de la philosophie ? Ne me dites pas qu’ils le font par nécessité, car vous avez, vous aussi, la nécessité d’éviter l’enfer, et cependant vous n’avez point tant de prudence et ne rendez point tant d’honneur à Dieu que ne vous en rendent vos esclaves. Chacun d’eux a sa demeure déterminée, et n’empiète pas sur celle de son camarade, non plus que la cupidité de celui-ci ne lui fait tort. La crainte de leur commun maître les maintient dans le devoir.
Rarement un serviteur fait tort à un autre ou en reçoit quelque dommage.
Mais, parmi les hommes libres, le contraire