Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 11, 1867.djvu/468

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n’est pas un titre de supériorité. Et, pour marquer l’intervalle qui existe entre les créatures et le créateur, Paul s’exprime ainsi : « Qui est l’ange à qui Dieu ait jamais dit : Vous êtes mon fils, je vous ai engendré aujourd’hui ? » Et ailleurs : « Je serai son Père, et il sera mon Fils ». Ces paroles marquent la filiation selon la chair. Car le mot : « Je serai son Père, et il sera mon Fils », fait allusion évidemment à l’Incarnation. Mais cet autre : « Vous êtes mon Fils », ne prouve qu’une chose : c’est qu’il est de lui. De même qu’il est dit « qui est », ὢν, au temps présent, car cela lui convient, admirablement ; de même le mot « aujourd’hui m s’applique, selon moi, à l’Incarnation Lorsqu’en effet il aborde ce mystère, son langage est plein d’assurance. La chair participe à l’élévation, comme la divinité à l’abaissement. Dieu n’a pas dédaigné de se faire homme ; il n’a pas reculé devant cette humiliation réelle ; pourquoi donc n’accepterait-il pas le mot qui l’exprime ?
5. Puisque nous sommes pénétrés de ces vérités, plus de mauvaise honte, plus d’orgueil. Si Jésus qui est Dieu, maître et Fils de Dieu, a daigné prendre la forme d’un esclave, ne devons-nous pas accepter toutes les tâches, même les plus humbles ? Répondez, homme, d’où vient votre orgueil ? Des biens que vous possédez en cette vie ? Mais ils s’éclipsent avant de briller. Des dons spirituels ? Mais c’en est un que de n’avoir pas d’orgueil. D’où vient donc votre orgueil ? De votre droiture ? Écoutez cette parole du Christ : « Quand vous aurez fait toutes choses, dites : Nous sommes des serviteurs inutiles » (Lc. 17,10), car nous avons fait ce que nous devions faire. Mais c’est votre richesse qui vous rend orgueilleux. Eh ! pourquoi donc ? Ne savez-vous pas que nous sommes entrés nus dans la vie, et que nous en sortirons nus ? Ne voyez-vous pas que ceux qui vous ont précédés sont partis nus, et dépouillés ? Pourquoi s’enorgueillir de la possession des biens extérieurs ? Ceux qui veulent s’en servir et en jouir, ne s’en voient-ils pas privés, même malgré eux, souvent avant leur mort, toujours au moment de la mort ? Mais ; de notre vivant, dites-vous, nous en faisons ce que nous voulons. D’abord on voit rarement les riches jouir de leur fortune, comme ils l’entendent. Et quand on serait assez heureux pour cela, ce ne serait pas là un grand bonheur. Le présent en effet est bien court, quand on le compare aux siècles sans fin.
Tu es orgueilleux de tes richesses, ô homme ! Et pourquoi donc ? C’est un avantage qui t’est commun avec les brigands, avec les voleurs, avec les meurtriers, avec une foule de gens efféminés et corrompus, avec tous les méchants. Pourquoi donc cet orgueil ? Si tu fais de ta fortune un boit usage, tu dois bannir l’orgueil, pour ne pas enfreindre les commandements ; si tu fais un mauvais usage de tes biens, l’orgueil te sied moins encore, puisque tu es l’esclave de ces biens, de ces trésors qui sont devenus tes tyrans. Dites-moi, ce fiévreux qui boit de l’eau avec excès et dont la soif s’éteint un instant pour se rallumer, doit-il s’enorgueillir ? Cet homme qui se forge mille soucis inutiles, doit-il s’enorgueillir ? De quoi vous enorgueillissez-vous, dites-moi ? d’avoir une foule de maîtres ? d’avoir mille soucis ? d’être entouré de flatteurs ? Mais ce sont autant de chaînes que vous avez là. Voulez-vous sentir le poids de ces chaînes, écoutez-moi bien. Les autres passions ont parfois leur utilité. La colère est quelquefois utile. « Colère injuste », dit l’Ecclésiaste, « colère coupable ». (Sir. 1,22) La colère peut donc être juste en certains cas. Écoutez encore saint Matthieu : « Se fâcher sans raison contre son frère, c’est s’exposer à la géhenne ». (Mt. 5,22) La jalousie et la concupiscence ont aussi leur bon côté : celle-ci quand elle a pour but la procréation des enfants ; celle-là quand elle produit une noble émulation. C’est ce que dit saint Paul. « Il est toujours bien d’être jaloux de bien faire », et ailleurs. « Choisissez entre les dons de la grâce et montrez-vous jaloux d’acquérir les meilleurs ». (Gal. 4,18 ; 1Cor. 12,31) Voilà donc deux passions qui peuvent avoir leur utilité. Mais l’orgueil n’est jamais bon ; il est toujours inutile et nuisible. S’il faut s’enorgueillir de quelque chose, c’est de la pauvreté, non de la richesse. Pourquoi ? C’est que l’homme qui sait vivre de peu, est bien plus grand et bien meilleur que celui qui ne le sait pas. Dites-moi : voilà des gens qui sont invités à se rendre dans une résidence royale ; les uns n’ont besoin en voyage ni de nombreux attelages, ni de serviteurs, ni de parasols, ni d’hôtelleries, ni de chaussures, ni de vaisselles ; il leur suffit d’avoir du pain et de l’eau des sources. Les autres disent : Si vous ne nous donnez pas des chariots et de bons lits, nous ne pouvons pas 'venir ; nous ne pouvons venir, si nous n’avons pas une suite nombreuse ; si nous ne pouvons rions reposer à chaque instant ; nous ne pouvons venir, si nous n’avons pas dés attelages à notre disposition, et si nous ne passons une partie du jour à nous promener ; et nous avons besoin de bien d’autres choses encore. De ces deux espèces d’hommes, laquelle excitera notre admiration ? Sera-ce la première ? Sera-ce la dernière ? Il est évident que nous réserverons notre admiration pour ceux qui n’ont besoin de rien. Il en est de même ici. Pour faire le voyage de la vie, les uns ont besoin de mille choses, les autres n’ont besoin de rien. Et ce seraient les pauvres qui devraient être orgueilleux, s’il fallait avoir de l’orgueil. Mais, dira-t-on, c’est un être méprisable que le pauvre. Non : ce n’est pas lui qu’il faut mépriser ; ce sont ceux qui le méprisent. Eh ! Pourquoi ne mépriserais-je pas ceux qui ne placent pas bien leur admiration ? Un bon peintre se moquera de tous ceux qui s’aviseront de le railler, si les railleurs sont des ignorants ; il ne fera pas attention à leurs propos ; il se contentera du témoignage qu’il se rend à lui-même : et nous autres, nous dé pendrons de l’opinion du vulgaire ! Quelle impardonnable faiblesse !
Aussi sommes-nous méprisables, quand nous ne méprisons pas ceux qui nous méprisent à cause de notre pauvreté, quand nous ne les trouvons pas malheureux. Je passe sous silence toutes les fautes dont la richesse est la source, tous les avantages de la pauvreté. Mais que dis-je ? Ni la richesse, ni la pauvreté ne sont pas elles-mêmes des biens ; elles ne le deviennent que par l’usage qu’a